Les banques face à la Covid-19 : Une crise porteuse d’espoirs

Et si cette crise était l’occasion de réfléchir à un nouveau modèle de développement en Afrique ? Et si des mesures décidées dans l’urgence étaient pérennisées ? Trois spécialistes de la banque en sont persuadés.
Par Laurent Soucaille
I-Conférence organisait, ce 24 avril, une rencontre virtuelle entre spécialistes africains de la finance et des technologies, sur le thème « Stress test, les banques face à la Covid-19 ». Interrogés par Zied Loukil (Mazars), les intervenants ont donné leur point de vue sur la capacité de résilience des banques et donné des pistes de réflexion sur l’après-Covid.
Pour l’universitaire Dhafer Saïdane (Skema Business School), il est très important de sortir des caricatures pour préciser la situation actuelle. Si l’on regarde les chiffres, aujourd’hui, l’Afrique est le continent le moins infecté et ne représente que 0,7% des décès dans le monde. « Il ne faut donc pas ajouter d’huile sur le feu et ne pas paniquer les dirigeants, les femmes et hommes d’affaires. » Bien sûr, sérénité ne signifie pas négation du choc économique.
« La crise ébranle les croyances économiques et sociales ! Nous assistons à une mondialisation de l’épidémie qui montre les limites de la mondialisation de l’économie… »
Les banques africaines ont connu, ces dernières années, des transformations importantes, avec des restructurations panafricanistes : Bank of Africa, Ecobank, BGFI Bank, etc. Les banques doivent jouer un rôle inédit, différent, de soutien à l’économie. « S’il faut sortir des sentiers battus et des politiques conventionnelles, les banques doivent participer à la réflexion et à l’action. » Un certain « patriotisme économique », au minimum, doit accompagner les politiques économiques.
« Pour autant, la situation actuelle reste porteuse d’espoirs », poursuit l’économiste, selon qui nous sommes loin des plans d’ajustements structurels qui ont coûté cher à l’Afrique. » Les restructurations passées ont porté leurs fruits, les banques africaines sont bien ancrées dans le XXIe siècle, elles ne sont pas en retard, grâce à leur progrès dans le numérique, leur stratégie d’inclusion financière.
« Il ne faut pas que les sacrifices et efforts consentis par les Africains soient gâchés », prévient Dhafer Saïdane. Selon qui « les banques seront résilientes, elles sauront résister à ce choc frontal » que représente la pandémie.
L’Afrique centrale doit changer de modèle
De son côté, Mohamed Essaid Benjelloun Touimi, administrateur directeur général chez LCB Bank – BMCE Bank, constate que l’épidémie touche surtout des pays parmi les plus riches. « Voilà qui ébranle les croyances économiques et sociales ! Nous assistons à une mondialisation de l’épidémie qui montre les limites de la mondialisation de l’économie… » Aussi, faut-il réfléchir à une nouvelle politique mondiale de répartition de la richesse.
Les pays qui ont bien anticipé l’épidémie, comme le Maroc, ont parallèlement anticipé les causes économiques et ont cherché, très tôt, les moyens d’aider les populations. On le sait, de ce point de vue, la pandémie n’aura pas les mêmes répercussions partout. Ainsi l’Afrique de l’Ouest, plutôt ancrée au Maroc à la faveur des investissements opérés par ce dernier, sera bien sûr affectée. Néanmoins, la sous-région a les ressources pour traverser la crise. Le banquier ne masque pas son inquiétude pour l’Afrique centrale. La zone est plus en difficulté, en raison notamment de la chute des cours du pétrole. Peut-on encore tabler sur un prix moyen du baril à 55 dollars ? Le Congo a déjà accepté un prix de 25 $, abandonnant du même coup une chute de ses revenus…
Plus généralement, les États décident de mesures vis-à-vis des entreprises et les banques, les particuliers, qui bénéficient de reports d’échéances, par exemple.
L’État assouplit la réglementation bancaire. Les banques africaines, précise Mohamed Essaid Benjelloun en écho aux propos de Dhafer Saïdane, obéissent aux mêmes règles prudentielles que les autres. L’Afrique compte de grands groupes comme BoA, qui est ouverte « au lever et au coucher du soleil », en étant présente en Asie, en Europe…
Les mesures prises par les autorités monétaires « semblent à la hauteur de la crise ». Faciliter l’accès aux banques permet de stimuler les liquidités, on facilite les prêts pour stimuler l’économie, idem pour la baisse des taux, l’encouragement à la digitalisation…
Un accélérateur des réformes
Au Maroc, le fonds de garantie représente un « oxygène » pour aider des entreprises – saines – à faire face à la crise conjoncturelle. Un exemple à suivre.
« Comme on ne connaît pas la durée de la pandémie, on repousse les échéances de trois mois en trois mois », observe le banquier. Selon qui, sans ces facilitations, les banques n’auraient pas pu jouer leur rôle de facilitateur, d’intermédiaires, entre les différents clients.
« Nous faisons face, néanmoins, aux retraits massifs des déposants et des épargnants. »
Il faut déjà penser à « l’après », à une nouvelle politique de développement, en Afrique centrale. Il faudra réfléchir à s’engager davantage dans la transformation des matières premières. « Il ne faut plus laisser aux autres fixer les prix ! »
Des mesures d’encouragement prises dans l’urgence pourraient être pérennisées, aider le climat des affaires. La crise Covid pourrait, dès lors, constituer « un accélérateur » des réformes indispensables.
De son côté, Abdeslam Alaoui Smaili, directeur exécutif de HPS, spécialiste des solutions technologiques dans le monde bancaire, constate : « L’économie s’arrête. » Les mesures de confinement, la distanciation sociale sont brutales, « mais porteuses aussi de solutions ». Ainsi, les nouvelles technologies permettent aux ménages les plus pauvres de recevoir directement les aides, éliminant de coûteux intermédiaires.
Elles permettent aux États, sur le plan économique, d’envisager la solution de l’aide directe aux particuliers comme réponse à la crise. Bien sûr, il faut être certain que les techniques sont efficaces, qu’elles emplissent leur rôle, « ce n’est pas le moment de tester ! ».
Il faut généraliser certaines pratiques modernes, comme celles qui facilitent les contrôles de l’identité des clients. « Les pays africains peuvent généraliser les points cash in – cash out avec une grande granularité ». On peut ouvrir des centres de retrait dans les petits commerces (station-service, épiceries, etc.)
2 Commentaires
Nous entrons dans une ère inconnue et incertaine (L’ère Covid). Elle concerne le monde entier et ne fait aucune distinction entre riches et pauvres, puissants et faibles. Nous n’avons pas d’expérience de cette ère. Aucune théorie économique, sociologique, ou politique n’est adaptée pour l’expliquer. Aucune stratégie ne peut en découler avec des bénéfices certains.
Nous devrons naviguer à vue (agiles), rester unis autour des valeurs universelles humaines et orienter nos actions vers la survie de l’espèce humaine et la préservation de notre planète. L’ère Covid a au moins cet avantage de nous avoir éclairé sur la futilité des clivages.
L’Afrique a l’habitude de fonctionner en mode survie. Le modèle bancaire classique y est minoritaire. Les modèles de financement et d’epargne s’inspireront plutôt des modèles coutumiers et informels que des modèles bancaires classiques. Avec l’appui du digital, ces modèles non bancaires deviendront prépondérants. L’expérience du mobile payment est une chance pour les africains dans la nouvelle ère Covid.
Jamais une épidémie aura autant marqué les inégalités entre riche et pauvre !! Tout le monde peut être touché par cette maladie oui, mais les moyens de s’en préserver dépends des ressources disponibles de chacun.
Pour le reste je suis d’accord, rien de nouveau.