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Le paiement cashless doit s’adapter aux besoins des Africains

Le paiement cashless doit s’adapter aux besoins des Africains
  • Publiéjuin 24, 2020

L’Afrique est montrée en exemple pour ses progrès en matière de dématérialisation des transactions. Pourtant, du progrès reste à accomplir. L’enjeu n’est pas que technologique : les nouveaux outils doivent correspondre à un besoin et être immédiatement accessibles à tous.

Par Laurent Soucaille

Trois spécialistes des transactions monétique ont fait le point sur les progrès réalisés, et ceux à accomplir, en matière de transactions sans espèces. Valentin Mbozo’o, directeur général du Groupement interbancaire monétique de l’Afrique centrale (Gimac) rappelle combien nous avons assisté, en Afrique, à une forte poussée du mobile, favorisée indirectement par le déficit en infrastructures de transports (routes, etc.).

Pourtant, en Afrique centrale, les cartes de paiement ont été longtemps considérées comme « élitiste ». Aussi, les autorités monétaires ont-elles favorisé l’interopérabilité, en faisant converger toutes les solutions de paiements.

« On ne peut pas dire aux gens exclus du système d’aller directement vers les services les plus complets. Si elles veulent utiliser ces messageries instantanées, utilisables sur des supports peu onéreux, nous devons nous y adapter. »

Désormais, trois entités se répondent dans l’intermédiation sans espèces : la banque, la microfinance et les comptes mobiles. Un système intégré favorise « les exclus de la banque ». L’Afrique subsaharienne développe ses solutions, tout en suivant de près ce qui se passe dans certains pays plus avancés sur ces questions. Comme le Maroc et le Kenya qui ont bien avancé vers la fin de l’usage des espèces. « Nous sommes en mesure d’apporter nos propres systèmes sans forcément copier les Européens. »

Sami Romdhane, directeur général de Visa International au Maroc, rappelle qu’il faut considérer le « cashless » comme un ensemble, qui ne repose pas sur la seule technique de paiement. En effet, dans le e commerce, une transaction suppose trois parties, le commerçant, le paiement électronique, la logistique. Jusqu’à présent, la partie logistique (livraison des marchandises) était en retard. D’ailleurs, la crise pandémique en cours a permis d’ajuster cette partie logistique, « accélérant parfois de manière spectaculaire les livraisons ! » Le progrès de l’e-commerce participe de celui des moyens de paiements électroniques.

« Le problème de l’e-commerce en Afrique est aussi le problème des adresses ! », fait observer Valentin Mbozo’o. « Où livrer les marchandises ? », se demandent souvent les commerçants. Une meilleure cartographie permettra de dynamiser le paiement en ligne.

Effet accélérateur de la crise sanitaire

En matière de paiement sans contact, Visa a dû faire face à certaines réticences. Pourtant, là aussi, la crise actuelle permet de montrer que cette technologie n’était pas plus risquée qu’une autre. « Nous avons beaucoup de demandes pour que le sans contact soit généralisé et que les plafonds de paiements de paiement soient relevés ! », explique Sami Romdhane, au cours du débat en ligne organisé par I-Conférences.

Un exemple est encore plus frappant : les aides directes des États aux ménages. Durant longtemps, les acteurs de la filière avaient toujours des difficultés à unifier les bases de données des personnes concernées. Il est devenu impératif, avec la crise, d’obtenir un registre unique des adresses, des comptes, des sommes à verser, etc., afin de procéder vite au versement des aides sociales.  « Tout cela se généralisera, d’autant que progressivement, ces aides se feront sans espèces, par le biais de la téléphonie mobile, par exemple. » Bref, toute la chaîne a bénéficié d’une prise de conscience et d’une accélération de ce marché.

Un avis partagé par Mikael Naciri, du Centre monétaire interbancaire (CMI Maroc) qui précise que plusieurs solutions techniques sont déjà actives, en Afrique. Continent en pointe non seulement sur le Mobile Money, mais aussi par l’utilisation des « Wallets » de paiement ou le QR Code. D’ailleurs, cette dernière technique, « simple et pratique », semble séduire les commerçants, aussi bien que les touristes.

D’autres innovations sont nécessaires

Il reste des progrès à faire, néanmoins. Au Maroc, 12% des transactions par cartes sont réalisés par les commerçants, mais cela veut dire 88% transitent par les distributeurs automatiques… Les ménages bancarisés utilisent beaucoup les liquidités, « il faut les faire migrer davantage vers les solutions cashless », insiste le professionnel. Qui, à son tour, constate que depuis le début de la crise pandémique, le paiement en ligne progresse.

La bancarisation de tous les clients est néanmoins nécessaire pour que chacun accède aux autres services bancaires. « Le mobile paiement n’est pas une fin en soi, c’est un tremplin pour accéder à l’ensemble de la banque. »

Il reste, dans la filière, à implémenter des innovations, rebondit Valentin Mbozo’o. En Afrique, elles vont digitaliser la chaîne de paiement. Il n’est pas normal, en effet, qu’un possesseur de carte bancaire préfère retirer de l’argent à un DAB pour payer un commerçant ! Il faut offrir des solutions sur l’ensemble de la chaîne, et pour le plus grand nombre d’acteurs. « Quel que soit l’instrument de paiement à la disposition des acteurs, chacun peut réaliser l’ensemble des opérations, c’est cela l’interopérabilité. » L’innovation, c’est aussi faciliter la tâche des utilisateurs !

De nombreux petits commerçants n’ont pas les moyens de se doter de terminaux de paiement, par exemple, il faut donc s’en passer. Y compris dans l’informel, ces acteurs doivent échapper aux techniques porteuses de taxes, de tracasseries administratives, donc dissuasives. En revanche, les populations voient vite les bénéfices de payer ses factures (électricité, eau, etc.) par mobile, plutôt que de faire la queue devant un bureau. Cela montre que chaque innovation doit être appréhendée dans un environnement structuré, non en silo, au service des populations jusque-là exclues.

Sur cette question de la popularisation des outils, donc de la pédagogie à adopter, Sami Romdhane recadre : le mot d’ordre est d’offrir à chacun l’expérience de paiement qui répond à ses besoins et à ses contraintes. Il faut procéder à une approche multicanaux : ce n’est pas au consommateur de s’adapter aux besoins du produit, mais la démarche doit être inverse.  La plupart du temps, les gouvernements se chargent de collecter les besoins, aux professionnels de s’y adapter. Le client ne doit pas chercher comment utiliser produit, celui-ci doit être clair, intuitif. Sans oublier de s’adresser aux populations qui n’ont pas accès aux technologies comme les smartphones.

Élargissant le débat au rôle des institutions, Mikael Naciri rappelle que de nombreux pays africains ont adopté une stratégie nationale d’inclusions financière. Elles englobent aussi bien les filiales de banques, la Banque centrale, les TelCo, etc. Bien sûr, le paiement mobile n’est qu’un des éléments de la problématique. Cette stratégie permet d’unifier les besoins et de relier utilisateurs principaux (caisses de pensions, commerçants, etc.)

Le coût élevé des espèces

La digitalisation des services publics s’accélère, à la faveur de la crise. Tous les acteurs de l’écosystème mettent la main à la pâte de ce point de vue. Il faut, cela a été dit, qu’à un moment de la chaîne, l’argent cesse de sortir sous forme de cash ! Certains pays tel le Maroc ont choisi, de manière incitative, de pénaliser les espèces, par des taxes. Pour accentuer cet effet, les opérateurs doivent proposer des coûts les plus faibles possible, pour que tout le monde ait conscience que le cashless ne coûte pas plus cher que le cash.

Plusieurs pays, via des GIE, lancent des campagnes d’informations. À cet égard, il faut y associer les institutions de microfinance. « Elles ont une longue expérience sur ces sujets, elles seront un vecteur de la digitalisation des populations africaines, notamment dans les endroits les plus éloignés des centres-villes », précise Mikael Naciri.

Cette question du coût est centrale, rebondit Sami Romdhane. On sait peu que le coût de la gestion des espèces est énorme : il faut les sécuriser, les assurer, etc. Le coût peut atteindre 7 points de PIB, c’est beaucoup, même si les populations ne le voient pas. Gare à ne pas aller trop vite, prévient Mikael Naciri.

En Europe, la Suède avait carrément interdit les transactions en espèces chez certains commerçants, la crise actuelle a obligé le pays à revenir en arrière. Certes, réplique Sami Romdhane, mais l’Afrique est encore loin de se poser des questions, même si partout, concède-t-il, les acteurs rencontrent des réticences à abandonner les espèces.

Valentin Mbozo’o, du Gimac, confirme : la gestion du cash coûte cher et en plus, prend beaucoup de temps et d’énergie. Le travail peut être redéployé ailleurs, comme dans le déploiement des solutions USSD (protocoles entre téléphones mobiles) ou par SMS pour simples téléphones portables : elles ne font qu’épouser les besoins et les aptitudes des populations. « On ne peut pas dire aux gens exclus du système d’aller directement vers les services les plus complets. Si elles veulent utiliser ces messageries instantanées, utilisables sur des supports peu onéreux, nous devons nous y adapter. »

Certes, reprend Mikael Naciri du CMI Maroc, qui considère toutefois que la population jeune, citadine, est gourmande de nouvelles technologies. « L’explosion des ventes de smartphones permettra de proposer des solutions directement accessibles à ces produits. Il faudra, pour séduire, soigner le parcours clients, l’ergonomie, le design des produits ». Aussi l’USSD, plus archaïque, n’est-elle pas une solution d’avenir, y compris pour les populations défavorisées.

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Par Laurent Soucaille

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