Le crédit téléphonique n’est pas de la monnaie

La Banque centrale des États d’Afrique centrale demande aux opérateurs de téléphonie mobile de ne pas se servir des unités de crédit de leurs abonnés pour effectuer des transactions monétaires. Qu’il s’agisse de paiement de taxes ou d’achats de services.
Par Aude Darc
La position de la BEAC conforte les opérateurs télécoms autant qu’elle les met dans l’embarras. Alors en plein bras de fer avec le gouvernement camerounais sur la question du paiement des taxes, les professionnels de la téléphonie mobile avaient sollicité l’avis de la Banque centrale des États d’Afrique centrale, le 9 octobre 2020.
« La BEAC recommande à tous les opérateurs concessionnaires de téléphonie d’éviter à l’avenir toute présentation, usage ou exploitation des unités de crédit téléphonique en francs CFA ce qui est de nature à susciter une confusion avec la monnaie légale en vigueur dans les États membres. »
Comment mettre en œuvre des dispositions de la loi de Finances du Cameroun, portant sur la collecte des droits et taxes de douane par voie numérique sur les téléphones et terminaux numériques ?
Les opérateurs mobiles rappelaient qu’avec le nouveau mécanisme, le paiement des droits de douane consisterait à décompter les unités de crédit de communication figurant sur les comptes téléphoniques des clients. De ce fait, les crédits de communication deviendraient un outil de transaction, donc de la monnaie. Or, la législation camerounaise, et celle en vigueur de la Cemac, semble contredire ce dispositif.
Dans sa réponse, quelques semaines plus tard, la Banque centrale a retenu la logique des opérateurs ; elle rappelle que la monnaie électronique est émise par des prestataires de services de paiement habilités à émettre et gérer des moyens de paiement. Et donc, la BEAC déconseille l’usage de ce mécanisme de collecte des taxes douanières via le débit du crédit de communication.
En effet, les services téléphoniques sont créés par des entreprises qui elles, n’ont pas cette qualité de prestataires de services de paiement habilités à émettre et gérer des moyens de paiement. Les unités de crédit téléphonique ne sont pas de la monnaie, a tranché la Banque centrale.
Voilà qui conforte l’interprétation des opérateurs, et justifie la décision de Paul Biya. Le Président a demandé au gouvernement camerounais de chercher une autre solution qu’une plateforme de collecte des taxes à laquelle s’adosseraient les opérateurs.
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Sauf qu’au bout du compte, cet avis de la Banque centrale ne fait pas pleinement les affaires des opérateurs de téléphonie.
« Je vous prie de bien vouloir noter que les crédits de communication sont une marchandise, un produit ou un service, qui ne servent que pour des services de téléphonie et qui, même s’ils ont une valeur marchande, ne sont pas des moyens de paiement ou de la monnaie. » Ainsi écrit le gouverneur de la Banque centrale, au président de l’Association des opérateurs de téléphonie mobile du Cameroun, Frédéric Debord.
Lequel est également le directeur général d’Orange Cameroun. « En effet, ils sont créés par des entreprises qui ne sont pas des prestataires de services de paiement habilités à émettre et gérer des moyens de paiement. Les unités de crédit téléphonique ne sont donc pas, en l’état de la réglementation communautaire applicable, ni de la monnaie fiduciaire, ni de la monnaie électronique, ni un instrument ou moyen de paiement. »
Le crédit téléphonique ne servira donc plus à s’abonner aux différents services que les opérateurs télécoms proposent à leurs clients, explique le gouverneur Abbas Mahamat Tolli.
« La BEAC met à profit cette occasion pour recommander, à travers vous, aux membres de votre association et à tous les opérateurs concessionnaires de téléphonie mobile au Cameroun et plus largement dans la Cemac, d’éviter à l’avenir toute présentation, usage ou exploitation des unités de crédit téléphonique en francs CFA ce qui est de nature à susciter une confusion avec la monnaie légale en vigueur dans les États membres. »
En Afrique centrale, les opérateurs de téléphonie mobile auront-ils l’obligation de ne plus afficher les soldes de crédit en franc CFA, et de chercher une autre unité de compte, comme un crédit temps ?
La BEAC et les gouvernements de la Cemac devraient préciser ce qui, pour l’heure, ne relève pas de la directive formelle mais du souhait. De même, les abonnés de téléphonie mobile peuvent utiliser une partie de leur crédit de consommation pour acheter des données, comme de la musique ou des messages pré-enregistrés. Qu’en sera-t-il demain ?
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