Le coût ruineux de la perception excessive des risques

Les agences de notation appliquent à l’Afrique une prime de risque injustifiée, considère l’économiste en chef de la Banque africaine d’import-export (Afreximbank). Faute de règles de financement plus équitables, les préjugés continueront de retarder le développement durable de la région.
Par Hippolyte Fofack
Après sa première récession depuis plus de 25 ans, la production de l’Afrique ne devrait pas retrouver son niveau antérieur à la pandémie avant l’année prochaine. Le resserrement brutal des conditions de financement mondiales a déclenché un arrêt des investissements et des sorties massives de capitaux, parallèlement à l’un des chocs mondiaux de l’offre et de la demande les plus spectaculaires jamais observé. Les contraintes de liquidités se sont accentuées et les problèmes de pilotage macroéconomique s’aggravent.
En particulier, le ralentissement engendré par la pandémie a amplifié l’un des plus grands obstacles au développement de l’Afrique, à savoir « la prime de perception », c’est-à-dire la perception excessive du risque associée à la région et confirmée chaque année par les agences de notation, indépendamment de l’amélioration des fondamentaux macroéconomiques ou de la conjoncture économique mondiale.
Les taux d’intérêt élevés et les surcoûts de perception ruineux en Afrique ne sont pas justifiés par les données macroéconomiques fondamentales ni par les profils de risque des pays. Ils ne sont même pas justifiés par le contexte économique et financier mondial.
Ce problème, si nuisible pour la croissance, est enfin discuté sur la scène internationale. Lors de la dernière assemblée annuelle du FMI (Fonds monétaire international), la directrice générale Kristalina Georgieva a fait remarquer qu’il fallait « s’attacher à réduire le risque perçu et réel lié à l’investissement en Afrique, afin que l’énorme disponibilité de financements pour le reste du monde profite également à l’Afrique ».
Le 18 mai, le président français Emmanuel Macron, qui a appelé à des « règles de financement plus équitables pour les économies africaines », accueillera un sommet international sur le financement de la reprise économique sur le continent. La coordination internationale sera essentielle pour égaliser l’accès au financement du développement et atténuer le risque d’une reprise mondiale à deux vitesses, qui menace de creuser encore davantage l’écart de revenus entre l’Afrique et les autres régions du monde.
Au cours des deux dernières décennies, l’Afrique a toujours été l’une des régions du monde à la croissance la plus rapide, notamment grâce à des économies en plein essor comme celles de l’Éthiopie, du Rwanda et de la Côte d’Ivoire, pour n’en citer que quelques-unes. Signe de leur résilience, plusieurs pays africains ont affiché une croissance de leur PIB en 2020, et deux des cinq économies à la croissance la plus rapide au monde l’an dernier étaient africaines.
En outre, les progrès de l’Afrique dépassent le champ de l’économie. Selon la directrice générale du FMI, qui avait été invitée fin 2019 à s’exprimer lors d’une grande conférence à Dakar sur le développement et le financement de la dette, « en améliorant leurs politiques et en renforçant leurs institutions, les pays d’Afrique subsaharienne ont réalisé des avancées fondamentales ». En effet, en vingt ans, les niveaux d’extrême pauvreté ont diminué d’un tiers, l’espérance de vie a augmenté d’un cinquième et le revenu réel par habitant a progressé d’environ 50 % en moyenne.
Des évaluations erronées

Malheureusement, ces succès semblent n’avoir eu que peu ou pas d’impact sur l’opinion des principales agences de notation. Au plus fort de la pandémie, l’Afrique du Sud et plusieurs autres pays ont été rétrogradés au niveau « risque élevé ». Ces déclassements ont allongé la liste déjà longue des nations africaines considérées comme très risquées et soumises à des taux d’emprunt élevés.
Certaines de ces évaluations semblent erronées à la lumière des résultats encourageants de bon nombre de ces économies. L’Éthiopie, par exemple, a vu son PIB multiplié par plus de dix depuis le début du siècle. Elle a affiché une trajectoire de croissance à long terme qui, contrairement à de nombreux autres pays, n’a pas été complètement chamboulée par la récession due à la pandémie. Mais elle demeure un emprunteur classé à risque.
Les gouvernements africains payant des taux d’emprunt très élevés, il n’est pas surprenant que les paiements des intérêts soient devenus l’un des postes budgétaires qui augmente le plus vite, dépassant les budgets de santé de plusieurs pays. En Zambie, ils ont été multipliés par près de treize en l’espace d’une décennie, passant d’environ 63 millions de dollars par an à plus de 804 millions $ par an à la fin 2019.
À travers l’Afrique, les dépenses annuelles liées aux taux d’intérêt ont été multipliées par plus de trois sur la même période, passant de 8,1 milliards $ à environ 24,9 milliards $. Malgré une diminution en 2020 (de 36,6 % pour la Zambie et de 26,6 % pour la région), les charges d’intérêts devraient augmenter après la crise, conséquence de la croissance accélérée des dettes extérieures due à la pandémie, ainsi que de la fin des mesures d’allègement temporaires accordées aux pays vulnérables dans le cadre de l’initiative de suspension du service de la dette du G20 et du Fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes du FMI.
D’après une étude réalisée en 2015 par l’Université du Michigan, les États africains paient un supplément pour risque d’environ 2,9 % par rapport au reste du monde. Ce chiffre a probablement augmenté depuis, notamment avec les nombreuses dégradations des notations.
Il s’agit d’un obstacle majeur à la viabilité des finances publiques et de la dette, et à la transformation structurelle des économies africaines. Bien que la dette extérieure de l’Afrique soit nettement inférieure (en termes absolus et par habitant) à celle des économies avancées, le rapport entre les paiements du service de la dette extérieure et les recettes est nettement plus élevé, illustrant le coût prohibitif des taux d’intérêt qui freine la croissance et augmente les remboursements de la dette.
Au cours des deux dernières décennies, l’Afrique a toujours été l’une des régions du monde à la croissance la plus rapide, notamment grâce à des économies en plein essor comme celles de l’Éthiopie, du Rwanda et de la Côte d’Ivoire, pour n’en citer que quelques-unes.
L’exposition de la région aux chocs récurrents concernant les prix des produits de base tend à creuser le déficit commercial et budgétaire et à aggraver les contraintes de liquidité. Cette exposition a également accru ce « surcoût » des perceptions des risques en Afrique. La transformation structurelle des économies africaines en vue de diversifier les sources de croissance et de commerce réduira ces risques au fil du temps.
À cette fin, comme l’ont souligné à juste titre Emmanuel Macron et Kristalina Georgieva, il faudra injecter régulièrement des sommes importantes de capitaux pour stimuler l’investissement au-delà du secteur des ressources naturelles. Toutefois, les taux d’intérêt élevés et les surcoûts de perception des risques exorbitants constituent probablement les obstacles les plus importants à cette transformation structurelle.
Un obstacle à toute transformation structurelle
La communauté internationale a réagi rapidement à la pandémie, et plusieurs initiatives ont été adoptées pour aider les pays à faible revenu à faire face aux contraintes de liquidité et aux pressions croissantes sur la balance des paiements. À court terme, ces initiatives sont susceptibles de réduire les coûts du service de la dette extérieure et de renforcer la capacité des pays éligibles à gérer la crise liée à la Covid-19. Néanmoins, elles ne s’attaquent pas aux obstacles fondamentaux au développement de l’Afrique.
Tant que des mesures ne seront pas prises pour se défaire des préjugés historiques et intégrer des réalités plus positives ainsi que la diversité des situations de l’Afrique dans les modèles de notation, les pays de la région continueront de connaître le surendettement. La transformation structurelle des économies pour réduire leur exposition à la volatilité du marché mondial restera difficile à réaliser.
Les taux d’intérêt élevés et les surcoûts de perception ruineux en Afrique ne sont pas justifiés par les données macroéconomiques fondamentales ni par les profils de risque des pays. Ils ne sont même pas justifiés par le contexte économique et financier mondial, où les taux d’intérêt s’approchent de zéro à la suite des programmes d’assouplissement quantitatif mis en œuvre par les banques centrales.
Continuer sur cette voie ne fera qu’entraver la transformation structurelle et retarder la progression des revenus par habitant. C’est une situation qu’aucune nation, africaine ou autre, ne peut tolérer. Dans cette optique, il faut espérer que le sommet international du 18 mai permettra d’écarter ce risque, et d’inciter les investisseurs et les décideurs politiques du monde entier à permettre un accès équitable aux ressources financières mondiales.
HF