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African Banker Dossier Sénégal

L’Afrique de l’Ouest vit une révolution dans le Mobile money !

L’Afrique de l’Ouest vit une révolution dans le Mobile money !
  • Publiéavril 6, 2023

Coura Sène est la directrice régionale de la start-up américaine Wave. En cinq ans d’existence, cette application est devenue le plus grand opérateur de Mobile money au Sénégal – avec quelque 12 000 milliards de transactions en 2022.

  

Cinq années après son arrivée sur le marché sénégalais, Wave a détrôné l’opérateur historique Orange Money – exploité par le groupe français de télécommunications Orange –, conduisant ce dernier à baisser de près de 80 % ses tarifs de transaction. L’application – qui a levé 200 millions de dollars en septembre 2021 – s’est également développée dans trois autres pays de l’UEMOA, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso et au Mali, ainsi qu’en Ouganda et en Gambie. « « Notre dynamique, c’est le développement d’un marché africain sans cash », nous indique Coura Sène. L’occasion de discuter avec elle du futur prometteur du Mobile money en Afrique de l’Ouest. 

 

Wave était implantée en Afrique de l’Est, une zone à la pointe en matière de mobile money. Pourquoi vous êtes-vous intéressée au marché ouest-africain ?

Les deux cofondateurs de Wave, Drew Durbin et Lincoln Quirk, sont Américains. Ils ont d’abord créé Sendwave en 2011, une application mobile qui permet à la diaspora est-africaine basée aux États-Unis, au Canada ou en Angleterre, d’envoyer de l’argent à leurs proches de manière instantanée, grâce à la technologie, et à  moindres frais.

En s’installant au Sénégal, ils ont voulu faire la même chose : faciliter les transferts d’argent internationaux. Mais ils n’ont pas trouvé de partenaires pour proposer ce service. Dans le même temps, ils se sont rendu compte qu’il manquait un service de mobile money inclusif en Afrique de l’Ouest, à l’image de ce que fait M-Pesa au Kenya. Ils ont donc décidé de se lancer sur ce créneau.

Aujourd’hui, Wave emploie 850 salariés au Sénégal, au sein d’un réseau de 13 000 agents ; tout cela nous l’avons construit en cinq ans !

Aujourd’hui, au moins 75 % des adultes sénégalais ont un compte Wave qu’ils utilisent de manière quotidienne ou mensuelle, ce qui correspond à un peu plus de six millions d’utilisateurs. Nous avons bonifié la concurrence qui a baissé ses prix de transactions et revu son interface. Dans les six pays où nous sommes présents, nous comptabilisons plus de dix millions d’utilisateurs. Ces chiffres ne cessent d’augmenter. 

 

Quelles sont les grandes lignes de l’application Wave ?

Nous proposons des services financiers mobiles adaptés aux besoins des particuliers et des entreprises, à des coûts abordables. Nos services permettent d’envoyer et de recevoir de l’argent, de payer ses factures, ses achats, en toute sécurité. Nous avons démarré nos activités en février 2018 au Sénégal, en partenariat avec la banque publique UBA, puis avec une deuxième banque partenaire, Ecobank. En avril 2022, nous avons obtenu la licence directe de la BCEAO, ce qui nous permet d’opérer sans intermédiaire. On aimerait aujourd’hui étendre cette licence dans les autres pays de l’UEMOA. 

 

Comment expliquer ce succès, en seulement cinq ans d’existence ?

À notre arrivée sur le marché sénégalais, nous avons cherché à comprendre les besoins des clients en termes de services financiers digitaux, ce qui nous a permis de concevoir le produit financier le plus inclusif qui puisse exister aujourd’hui dans l’environnement du mobile money : à savoir un parcours client simplifié, un produit qui est indexé à une technologie très innovante, une prise en charge très rapide des réclamations, ce qui permet de bâtir une confiance ; et en plus de cela, les coûts les plus abordables possibles. En effet, le dépôt et le retrait sont gratuits le transfert d’argent est seulement à 1 % ! Notre priorité est de proposer un produit pour toutes les bourses, pour les ruraux comme les citadins, les plus éduqués comme les moins éduqués, les plus âgés comme les plus jeunes. En somme, nous voulons accroître l’inclusion financière ! 

Une de vos particularités tient à déployer des agents sur le terrain pour convaincre des commerçants, formels ou informels, des avantages du mobile money. Comment s’y prennent-ils ?

Nos jeunes agents vont au contact des vendeurs sur les marchés, des artisans, des tenanciers des boutiques informelles, pour leur expliquer le produit. Aujourd’hui, on peut acheter, via un QR code, une bonne partie des produits et des services du quotidien.

 

Pourtant, au Sénégal, moins de 25 % de la population est bancarisée.

Justement, selon les chiffres de la BCEAO, le taux de bancarisation « élargi » est passé de 39,6 % en 2020 à 42,4 % en 2021, et ce, grâce à des services de Mobile money. Ce taux de bancarisation élargi ne cesse de monter, contrairement au taux de bancarisation strict qui a tendance à stagner depuis une vingtaine d’années.

Les applications de Mobile money permettent d’inclure tout le monde. Les vendeuses de cacahuètes ou les chauffeurs de taxi peuvent désormais tracer leurs transactions et ainsi avoir une meilleure estimation de leur chiffre d’affaires. En soi, notre métier consiste à digitaliser l’informel. C’est bénéfique pour tout le monde, y compris pour le gouvernement, qui touche des impôts sur les transactions digitales.

 

Combien comptabilisez-vous de transactions en 2022, au Sénégal ?

En 2022, l’application a comptabilisé 12 000 milliards de transactions au Sénégal. Nous sommes présents sur le marché informel, mais aussi sur le marché formel, comme le secteur de la grande distribution. En 2021, nous avons notamment signé un partenariat avec Auchan, qui dispose d’une quarantaine de points de vente dans le pays. Pour le distributeur, il était primordial de diminuer la part de paiement en cash. Notre arrivée sur le marché a permis de développer de manière conséquente les transactions en Mobile money.

 

Dès lors, comment continuer à se développer ?

Dans le court terme, nous travaillons à la diversification des produits financiers. Nous avons commencé par les paiements de factures… Avant, c’était le parcours du combattant pour payer sa facture d’eau ou d’électricité, il fallait faire la queue dans une agence. Aujourd’hui, nous aimerions aussi nous développer dans le transport : les clients pourront bientôt payer leurs tickets de TER via Wave, par exemple.

J’estime que le paiement mobile a un rôle essentiel à jouer dans la mobilité urbaine, qui est l’une des grosses problématiques de Dakar. Nous continuons aussi à nous développer dans le secteur de la grande distribution, et remonter la chaîne de valeurs, jusqu’aux fournisseurs. De manière générale, nous souhaitons dynamiser le marché africain, en digitalisant les paiements au maximum. Notre concurrent, c’est le cash. Or, son utilisation est nocive pour tout le monde, que ce soit pour les petits acteurs informels ou pour l’État !

 

Et ensuite ? Dans les cinq ou dix prochaines années ?

Après, nous aimerions aller vers les produits de deuxième génération, comme l’épargne ou l’accès au crédit : des produits financiers auxquels n’ont pas accès les personnes non bancarisées. La marchande de poisson au marché a par exemple besoin de faire grandir son commerce et de s’approvisionner. Comment lui donner accès à des financements ? Récemment, nous avons été partenaires de la Délégation générale à l’entrepreneuriat rapide des femmes et des jeunes (DERFJ). Les bénéficiaires ont pu recevoir des financements via l’application Wave. Nous voulons favoriser ces initiatives-là.

 

Comptez-vous à terme collaborer avec les banques ?

Nous pouvons servir d’intermédiaire aux banques pour la distribution de crédits, car ce sont ces dernières qui ont l’autorisation d’accorder des prêts. Demain, nous pouvons aussi être le canal de distribution de titres émis par l’État, c’est une manière de faire de l’épargne – aujourd’hui, la majeure partie de la population n’y a pas accès. 

 

L’idée n’est donc pas, à terme, de remplacer les banques ?

Les banques nous voient comme un complément. Elles évoluent dans un cadre réglementaire strict. Notre vision, c’est plutôt d’être un intermédiaire, pour leur permettre d’atteindre les personnes non bancarisées.

 

Certains estiment que votre modèle n’est pas rentable. Que leur répondez-vous ?

Comme tout nouveau business, il y a un plan d’investissement, ce qui induit que nous perdons de l’argent au démarrage de nos activités. Mais si nous avons pu convaincre la BCEAO de nous accorder une licence d’Établissement de monnaie électrique, c’est parce que notre modèle est viable. Aujourd’hui, Wave emploie 850 salariés au Sénégal, au sein d’un réseau de 13 000 agents ; tout cela nous l’avons construit en cinq ans ! L’Afrique de l’Ouest vit aujourd’hui une révolution dans le secteur du Mobile money. Wave en est l’un des pionniers. Notre vision à long terme, c’est que nos clients favorisent nos produits en n’utilisant plus du cash.

@ABanker

Écrit par
African Business

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