La Tunisie cherche un avenir à sa banque de développement

Une banque publique de développement semble un outil essentiel pour accompagner la relance du secteur privé. En Tunisie, le manque d’une gouvernance politique claire et les problèmes structurels du secteur bancaire font obstacle à sa réforme, pourtant indispensable.
Par Nicolas Bouchet
À son tour, la Tunisie entreprend la réforme de sa banque de financement des PME. En effet, devant les besoins grandissants de soutien au secteur privé, les pays africains éprouvent le besoin de créer ou de réformer leur banque de développement nationale. Si la Tunisie n’échappe pas à la règle, les conditions actuelles de gouvernance dans le pays ne semblent pas réunies pour réformer avec succès la BFPME.
Certes, le contexte international incite fortement à appuyer la croissance du secteur privé par l’émission de prêts et de garanties par des sociétés financières d’État. En novembre 2020, le Sommet des banques de développement a consacré la popularité de ce modèle.
Et le 18 mai suivant à Paris, le Sommet sur le financement des économies africaines a confirmé ce rôle voulu pour tous les échelons de banques publiques, en particulier les locales et régionales.
« Si on appliquait strictement les ratios de la BFPME à son statut, on mettrait fin à son activité ! », analye Mondher Khanfir, auteur d’un rapport sur le devenir de la banque. Qui suggère une recapitalisation « pour sortir la banque d’une situation critique ».
Parmi les pays africains qui se sont lancés dans la course, le Mali a augmenté le bilan (à 1 055 milliards de F.CFA) comme les fonds propres (133,8 milliards de F.CFA) de sa banque de développement agricole. Au Sénégal, le bilan de la BNDE a progressé de 29% en 2020.
En septembre, la RD Congo a levé le voile sur sa prochaine banque publique. Et les régions économiques et monétaires ont aussi répondu présentes.
La BCEAO comme la CEMAC ont doublé les liquidités qu’elles injectent sur les marchés interbancaires de leurs régions. Pour ne pas rater le coche, la BFPME a fait appel au Think Tank ACET (African Center for Economic Transformation) pour dessiner son avenir.
Un sujet tabou ?
La démarche peut surprendre, tant les conditions de réussite ne sont pas réunies et risquent de faire du rapport de l’ACET un exercice d’expert sans lendemain. La question de la gouvernance en Tunisie, indispensable à la bonne marche d’une banque de développement, reste entière.
Or, ce modèle est inévitablement lié à la figure de l’État stratège, qui fait défaut au pays. « Le sujet de la gouvernance est un grand tabou en Tunisie », considère Mondher Khanfir. « Dans ce système, personne ne peut vraiment dire que la gouvernance est perfectible. On a créé un ministère pour la gouvernance des entreprises publiques et rien n’a bougé », poursuit le spécialiste en politiques publiques.
En outre, le secteur bancaire et financier du pays accumule les retards et les handicaps structurels. Le manque d’accès aux liquidités contraint les banques, selon une étude de Tunisie Valeurs publiée en 2020, à « des efforts de captation des ressources répartis sur toute l’année ».
Elles accordent moins de crédit dans une période où les besoins augmentent, « en raison du resserrement de la politique monétaire ». Enfin, elles font preuve d’une moindre prise de risque pour assurer la qualité globale de leur portefeuille. Elles exercent pour cela des exigences fortes envers le bilan de leurs clients avant de leur accorder des liquidités pour, par exemple, alimenter un fonds de roulement.
Le rapport d’ACET confirme ces inquiétudes. Pour avoir voulu compenser la frilosité des banques privées, la BFPME connaît un niveau de créances douteuses très élevé, de 87% en 2020, qui révèle l’absence de stratégie dans les choix d’investissement. « On n’a pas encore l’école de la mesure de la performance », déplore Mondher Khanfir, l’auteur du rapport.
La banque ne cible pas de secteurs mais fonctionne « de manière très administrative » par tranches de compte de résultat. Certaines entreprises ont mené des politiques d’embauche pour conclure un accord d’investissement public… avant de licencier.
Une taille critique à atteindre
De même, les marges de manœuvre de BFPME sont faibles. Selon le rapport, « la non-libération à ce jour d’une augmentation du capital décidée en 2015 – la dernière remonte à 2009 – illustre cette faiblesse ». Le Fonds tunisien d’investissement demeure donc à l’état de projet de regroupement en un guichet unique toutes les primes et les financements de soutien public. Et BFPME ne pratique toujours pas le Private equity.
Dans ses recommandations, et pour échapper à cet écueil, ACET entrevoit deux directions pour la BFPME. Si elle a bien financé plus de 1 100 entreprises pour un engagement de 423 millions de dinars (129 millions d’euros) fin 2020, le volume qu’elle pratique demeure trop limité et elle doit intégrer « un véhicule de taille suffisante » pour contribuer à la relance économique par la création d’entreprises.
ACET espère aussi voir l’institution « intégrer plusieurs formes de véhicules de financement publics et privés pour atteindre des seuils de performance en phase avec les besoins de l’économie ». Cela encore, « dépend de la volonté des pouvoirs publics », notamment pour permettre à la BFPME de capter des ressources financières étrangères telles celles offertes par la BEI ou la BIRD.
Les conditions de réalisation à remplir sont donc nombreuses. Le besoin d’une volonté politique au plus haut niveau est évident pour faire atteindre au marché intérieur une taille critique. « On n’a pas répondu à la question du découpage du territoire national», rappelle Hamdi Ksiaa, directeur à la BFPME.
Et au plan institutionnel, la banque existe encore comme banque commerciale et n’exerce ses fonctions de développement que par dérogation. « Or, si on lui appliquait strictement les ratios de son statut, on mettrait fin à son activité ! », analyse Mondher Khanfir.
Le rapport relève en effet « des ratios non conformes à la réglementation et des fonds propres négatifs », en infraction avec le Code des sociétés commerciales. Il faudra une recapitalisation « pour sortir la banque d’une situation critique ».
Une restructuration s’impose aussi dans la politique de ressources humaines de la banque. Si la BFPME veut attirer à elle des cadres bancaires du privé et aller vers une culture plus stratégique, elle devra se doter d’une grille de rémunération attrayante. Mais aussi rendre son management « révocable et stock-optionnable ».
@NB
Produit net bancaire et résultat comptable, en dinars