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Interview exclusive

La BID atténue la prime de risques africaine

La BID atténue la prime de risques africaine
  • Publiémai 18, 2021

Hani Salem Sonbol, (ITFC), Oussama Kaissi (SIACE), Ayman Sejiny (SID) expriment la vision de la Banque islamique de développement quant aux moyens d’accélérer la croissance de l’Afrique. Ils encouragent la mise en œuvre de la Zone de libre-échange et la montée en gamme de la production africaine dans les chaînes de valeur. Et expliquent le rôle de la BID dans l’atténuation des risques du commerce. Interview exclusive, deuxième partie.

S’amorce en Afrique un débat : Faut-il soutenir prioritairement les PMI et PME, ou faut-il favoriser l’émergence de « Champions » africains ? Ce débat vous semble-t-il pertinent ?

Hani Salem Sonbol : Je vous citerai une étude menée par l’université chinoise de Tsinghua, pendant le pic de l’épidémie de la Covid-19, sur un échantillon de différents types de PME.

Hani Salem Sonbol

Elle montre que deux tiers des PME n’ont pas survécu après deux mois d’arrêt d’activité. Le manque de revenus et l’accumulation des coûts fixes pendant la crise en ont été la cause majeure. S’il n’est pas amorti maintenant, l’impact négatif sera important, pour les pays en développement.

Dans le cadre de son mandat, la SIACE offre des solutions d’atténuation des risques aux exportateurs des pays membres vendant des produits à travers le monde et aux investisseurs de partout dans le monde intervenant dans les pays membres.

Les PME étant une source importante d’emplois pour les jeunes, les progrès réalisés au cours des dernières décennies en matière de diversification économique et de création d’emplois seront compromis. La réalisation d’un tel scenario, en particulier dans les régions africaines et arabes, serait une catastrophe ! 

Les institutions de financement du commerce doivent ainsi diriger leurs efforts sur le renforcement de la résilience des PME et leur permettre de rebondir après la pandémie. Le financement islamique du commerce, qui possède l’expérience, les outils et les instruments adaptés aux besoins des économies en développement qui ont à surmonter les difficultés héritées du passé, est le meilleur garant d’une réponse rapide et efficace. 

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En résumé, ce débat n’a pas lieu d’être, avant d’être de grands champions, la plupart des grandes sociétés étaient d’abord de petites entreprises. En cette période de crise, il convient ainsi de soutenir PME et Champions !

Oussama Kaissi : En développant le tissu des PMI et PME, on crée naturellement un climat propice à l’émergence des champions africains. En effet, la plupart des géants africains sont, à la base, des PME qui ont su se développer pour devenir des champions nationaux.

Oussama A Kaissi

Ceci confirme la pertinence de l’introduction d’une approche du développement basée sur la valeur ajoutée dans la chaîne des valeurs mondiales. Cette approche permettrait de consolider les avantages compétitifs du secteur privé   africain en fonction des avantages concurrentiels qu’offre chaque pays en matière de structures économiques, de ressources naturelles, ainsi que de positionnement géographique.

Ayman Sejiny : De notre point de vue, les PME connaissent des problèmes de trésorerie, des problèmes de financement, une interruption du mouvement de la chaîne d’approvisionnement et des retards dans les processus commerciaux. Par conséquent, les gouvernements, les multilatéraux et les institutions financières devraient s’engager à travailler avec les PME pour fournir des solutions flexibles pour les aider à traverser la crise et les différents défis.

Ayman Sejney

Du point de vue du crédit, les banques devraient identifier rapidement les secteurs et les PME les plus touchés. Accompagner les clients en ces temps critiques renforcera les relations avec eux et réaffirmera le rôle des banques en tant que catalyseurs clés de l’économie. Les banques devraient également être tenues de produire et de divulguer des informations fiables, fréquentes, à jour et comparables concernant les prêts qui ont bénéficié de mesures d’allègement des emprunteurs. 

À notre niveau, nous visons à mobiliser le secteur privé pour créer une croissance économique et améliorer la vie des habitants. Nous aidons à bâtir des secteurs privés florissants et des marchés financiers profonds, qui seront préparés à une nouvelle crise. La SID vise à travailler en étroite collaboration avec une centaine d’institutions financières locales et régionales de son réseau afin de fournir le soutien nécessaire pour continuer à financer les PME dans les secteurs touchés au sein des marchés sur lesquels elles opèrent.

La SID dispose de plusieurs plateformes de fonds dans le cadre de l’activité de gestion d’actifs, et l’une d’elle se concentre sur le développement des PME. Elle se concentre sur l’impact développemental et économique, la mobilisation des ressources et le renforcement des capacités de gestion des investissements, tout en montrant également des rendements pour ses investisseurs.

Quelles sont les « opportunités offertes par la ZLECAf » que vous appelez à saisir ? Cet ambitieux projet n’en est qu’à ses débuts.

Hani Salem Sonbol : Nous sommes déterminés à contribuer en faveur de cette importante initiative qu’est la Zone de libre-échange. Le commerce intra-africain doit jouer un rôle déterminant dans le sursaut économique du continent africain de par ses ressources abondantes et diverses à travers ses différentes régions qui se complémentent.

Un an après le début de la crise économique causée par la pandémie, la Commission économique pour l’Afrique et ses partenaires estiment que la ZLECAf peut jouer un rôle clé dans l’accélération de la reprise économique du continent africain en facilitant une transformation structurelle des économies qui permettra leur « reconstruction en mieux », sur des bases plus résilientes et solides.

Et c’est à ce niveau que le programme AATB conçoit des initiatives pour aider les pays membres à adapter les nouvelles normes de la ZLECAf. Il est prévu durant la foire intra-africaine (IATF2021) qui sera organisée du 8 au 14 décembre 2021 à Kigali au Rwanda, d’organiser de concert avec l’Union Africaine, un atelier sur « Le rôle de l’AATB dans la facilitation de la mise en œuvre de la ZLECAf ».

Oussama Kaissi : La Zlecaf constitue une opportunité extraordinaire pour l’Afrique. Il s’agira de disposer d’un marché commun africain de 1,2 milliard de consommateurs. Naturellement cela se traduira par une augmentation du volume des opérations de commerce international en Afrique. Ceci dit, il existe des prérequis à la réussite de ce projet ambitieux tel que les infrastructures de qualités permettant une meilleure connectivité entre les pays du continent africain. Aussi, est-il primordial de continuer à investir dans une infrastructure digitale africaine intégrée et des outils de télécommunication permettant de profiter des avantages de la digitalisation du commerce international.

Avec 23 pays membres en Afrique, la SIACE est bien positionnée pour faciliter les échanges commerciaux intra-africains. Nous donnons une importance particulière au développement de l’Afrique avec des bureaux régionaux : au Maroc, au Sénégal, et bientôt en Égypte, afin d’être au plus près des opérateurs économiques et mieux desservir le support du commerce et de l’investissement entre ses pays membres africains.

Quel est l’apport principal de vos structures en matière d’assurances ? Vous semblez, là aussi, répondre à un fort besoin en Afrique, longtemps négligé.  

Hani Salem Sonbol : C’est vrai, nous avons récemment étendu notre offre de financement du commerce pour soutenir les transactions liées aux importations des acteurs du secteur privé.

Nous mettons à disposition des solutions de financement du commerce par le biais de partenariats avec des banques locales. Afin de soutenir cette approche, l’ITFC a lancé un produit de « Confirmation de lettre de crédit » en faveur des banques.

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Ce produit, qui est un engagement bancaire commercial, est conçu en vue d’aider les acteurs du secteur privé, dont les PME, par l’intermédiaire de banques locales, en facilitant une grande variété de transactions d’importation lorsque l’émission de lettres de crédit nécessite une confirmation par le fournisseur.

Une confirmation émise par l’ITFC sur une lettre de crédit constitue un engagement, en plus de celui de la banque émettrice (banque locale) de la lettre, à payer le fournisseur de cette lettre (exportateur) sur présentation de documents d’expédition conformes. La confirmation que nous apportons offre à l’exportateur une assurance de paiement supplémentaire qui nous permettra de faciliter davantage le commerce.

Oussama Kaissi : Comme vous le savez, un des obstacles majeurs à l’investissement en Afrique est l’aversion au risque des investisseurs. Les solutions de garanties et d’assurance qu’offre la SIACE permettent d’appréhender les risques de non-paiement et les risques politiques, permettant aux banques et aux investisseurs d’avoir plus d’appétit pour les projets en Afrique. D’ailleurs, l’assurance de la SIACE – notée Aa3 par Moody’s – permet aux banques de faire des économies de capital réglementaire et d’améliorer les ratios prudentiels.

Ayman Sejiny : Nous développons un nouveau produit dédié à garantir toute institution ou entreprise qui souhaite mobilier des ressources sur le marché. Cette garantie qui est en phase de développement permettra au bénéficiaire de faire valoir la notation (investment grade) de la SID pour mobiliser les ressources à moindre coût.

Quels sont les principaux outils de couverture et de solutions financières conformes à la charia que vous développez ?

Hani Salem Sonbol : La Mourabaha est le mode de financement le plus répandu dans le financement du commerce international. Elle peut prendre plusieurs formes. Premièrement, un financement directement octroyé par le biais d’un accord Mourabaha entre l’ITFC et le bénéficiaire.

Deuxièmement, par le biais d’une convention cadre, l’ITFC octroie des lignes de financement aux clients (importateurs) des banques locales des pays membres de la BID. Ces banques locales agissent en tant qu’intermédiaires (agents mandataires) et garants du financement que l’ITFC octroie aux importateurs.

Troisièmement, afin de soutenir le secteur privé, l’ITFC offre des financements Mourabaha aux établissements financiers et banques commerciales pour le bénéfice de leurs clients (importateurs). Quatrièmement, pour les opérations d’envergure, l’ITFC peut opter pour un cofinancement ou une syndication dans lequel l’ITFC joue le rôle de Moudarib (chef de file ou co-chef de file) et invite d’autres institutions financières à participer au financement.

Je vous rappelle aussi que l’ITFC dispose du Fonds de développement du commerce (TDFD) sous forme de « waqf », avec un capital initialement ciblé de 50 millions $, pour soutenir les projets de développement du commerce. Ce, y compris auprès des communautés musulmanes des pays non-membres. Les ressources du fonds seront utilisées dans des investissements conformes à la finance islamique. Une des spécificités du fonds et que 50% des rendements sont alloués à des fins opérationnelles et les 50% restants pour augmenter le capital fonds. Ce modèle opérationnel permettra au fonds de se développer et maintenir une plateforme durable de financement au fil du temps.

Oussama Kaissi : Depuis sa création, la SIACE a assuré des transactions d’une valeur de 64 milliards $, dont des opérations commerciales de 51 milliards $ et des investissements directs d’une valeur de 13 milliards $. L’importance de la Société comme catalyseur du commerce et de l’investissement dans l’OCI s’est intensifiée considérablement ces dernières années. Dans le cadre de son mandat, la Société offre des solutions d’atténuation des risques aux exportateurs des pays membres vendant des produits à travers le monde et aux investisseurs de partout dans le monde intervenant dans les pays membres.

S’il n’est pas amorti maintenant, l’impact négatif de la crise sera important, pour les pays en développement. Pour les PME, les progrès réalisés au cours des dernières décennies en matière de diversification économique et de création d’emplois risquent d’être compromis.

Nous offrons divers services aux exportateurs, aux banques et aux investisseurs, comme l’assurance des crédits à l’exportation pour couvrir le risque de non-paiement lié aux échanges transfrontaliers et au financement du commerce. Sans oublier l’assurance des investissements pour couvrir le risque pays lié aux investissements étrangers entre les pays membres. Ainsi que la réassurance des opérations couvertes par les agences des crédits à l’exportation dans les pays membres.

Ayman Sejiny : Pour atteindre ses objectifs, la SID crée et développe des relations de coopération et de partenariat pour arranger des opérations de cofinancement et de financement consortial.

Les modalités d’accompagnement de la SID répondent aux critères standards de toute institution de développement à savoir tout projet ou entreprise portée par le secteur privé, dont l’État ne contrôle pas plus de 49% de l’actionnariat, des projets ou entreprises viables, avec un fort impact sur le développement.

Néanmoins, vu le caractère islamique du Groupe de la BID et la SID par ricochet, en dehors des projets considérés comme illicites du point de vue du droit musulman qui font partie de notre liste d’exclusion (alcool, tabac, pornographie, etc.), nous excluons également les secteurs liés à l’armement, la défense, le cinéma, etc. tout comme d’autres projets ayant un impact négatif sur l’environnement.

Cependant, nous encourageons tout autre type de projets pouvant contribuer à la réalisation des ODD. La SID finance les entreprises de toutes tailles, soit directement si la taille est raisonnable, soit indirectement à travers les banques locales lorsque l’entreprise est de taille modeste. Les modalités de financement sont déterminées après une évaluation préliminaire du dossier de financement ainsi que du profil risque du bénéficiaire. Nous utilisons les techniques classiques d’évaluation du risque en prenant en compte tous les facteurs atténuants. L’évaluation nous permet de déterminer le montant, la marge bénéficiaire, la maturité, etc.

Nous disposons d’un département en charge du service conseil qui a assisté plusieurs banques en Afrique à mettre en place leurs guichets islamiques (Coris, Afriland First Bank, BSIC, etc.) et aussi à convertir certaines banques classiques en banques complètement islamiques. En plus de cela, chaque banque que nous finançons bénéficie d’une formation de la part de nos équipes sur les principes de base de la finance islamique et les mécanismes d’utilisation de nos financements.

La SID est actionnaires dans plusieurs si ce n’est la plupart des banques islamiques (Banque Islamique du Sénégal, de Guinée, de Mauritanie, du Niger, Tamweel Africa) en Afrique subsaharienne. Notre bureau régional à Dakar reçoit de façon permanente des stagiaires en MBA en finance islamique et les encadre dans le cadre de leurs travaux de mémoire de fin d’études. Nous avons également accompagné quelques pays dans la structuration des Sukuks (obligations islamiques). Nous participons à tout séminaire, colloque ou conférence ayant trait à la finance islamique et pour lesquels notre expertise est sollicitée.

Les taux d’intérêt réels, en Afrique, sont plus élevés que ceux des pays occidentaux. Comment concilier cette tendance avec des produits compatibles avec les principes de la charia, pour développer le commerce ?

Hani Salem Sonbol : Afin de réduire le coût des financements stratégiques, différents mécanismes peuvent être actionnés. On implique ainsi souvent les gouvernements locaux qui, de par leurs garanties souveraines, peuvent améliorer le profil de risques des transactions, et ainsi permettre une réduction des frais financiers. Concernant les PME, des lignes de financement peuvent être fournies aux banques locales les plus performantes, à moindre coût, et ce, afin de leur permettre de financer entrepreneurs avec une marge bénéficiaire plus abordable.

Oussama Kaissi : Les politiques monétaires menées depuis la crise des subprimes ont donné lieu à des taux d’intérêt très bas, surtout en Europe. Ceci constitue un avantage pour les pays africains qui ont pu accéder à des financements moins chers. La finance islamique n’a pas vraiment souffert de cela si on considère la croissance à deux chiffres de cette industrie. Nous voyons qu’elle continue de financer le commerce international, en cette période de pandémie.

Ayman Sejiny : Généralement les taux appliqués par nos institutions semblent être plus compétitifs que ceux proposés par les banques commerciales et ce, du fait de notre mandat de développement. La BID applique des taux concessionnels alors que ses entités ayant pour mandat de financer le secteur privé font néanmoins l’effort de rester sur des taux raisonnables.

De plus, notre valeur ajoutée peut se lire sur la possibilité de mettre à la disposition de nos clients des maturités plus longues qui sont nécessaires au financement des infrastructures et de l’industrie, et aussi, la capacité à mettre à la disposition des bénéficiaires des facilités en devises qui dans certains pays semblent être difficiles à mobiliser pour financer l’importation des équipements. 

MALU 

Écrit par
Par Marie-Anne Lubin

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