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Finances et Marchés

Comment juger de la soutenabilité de la dette

Comment juger de la soutenabilité de la dette
  • Publiéjuillet 29, 2020

Comment apprécier la capacité des États africains à rembourser leur dette ? Quelle attitude adopter, entre créanciers bilatéraux et marchés financiers ? Les explications de Bloomfield Ratings permettent de comprendre le jugement des agences de notation. 

Par Paule Fax & Laurent Soucaille

Hormis les pays à revenus élevés, les pays africains sont endettés à hauteur de 582 milliards de dollars. Cette dette n’était que de 268 milliards il y a cinq ans. À cette période, le service de la dette n’était pas un problème.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Ainsi s’interrogent Stanislas Zézé et Soraya Diallo, respectivement président et senior vice-présidente de Bloomfield Ratings, dans une conférence virtuelle.

Les deux experts expliquent la démarche d’une agence de notation – dont le travail est remis en question, aujourd’hui, en Afrique. Juger de la « soutenabilité » de la dette, c’est-à-dire de la capacité des États à rembourser, n’est pas fonction que du seul ratio dette/PIB.

Les agences doivent faire l’effort d’apprécier la qualité de gestion de la dette, la qualité des institutions qui en ont la charge. « Nous analysons les données macroéconomiques, sociales, démographiques. Nous voyons quelles sont les contraintes en matière de développement, de budget, pour chaque pays », explique Stanislas Zézé. Avant tout, « nous devons nous assurer qu’il existe un cadre institutionnel adapté ».

Par exemple, il constate que plusieurs pays africains revendiquent des réformes en vue d’améliorer leur classement au Doing Business de la Banque mondiale.

Efforts louables, « mais les institutions ont-elles la capacité de mettre en œuvre ces réformes de manière appropriée ? », s’interroge-t-il. Une agence comme Bloomfield Ratings apprécie comment les finances publiques sont gérées, comment les impôts sont collectés et dépensés, etc. « Nous apprécions aussi la cohérence des besoins financés, le circuit de la dépense doit être sécurisé », explique Soraya Diallo.

La perception des investisseurs ne s’arrêtera pas sur les chiffres, mais sur l’ensemble des stratégies menées et la gestion des finances publiques.

Le piège des marchés financiers

L’expérience montre qu’il faut analyser, outre les dépenses, le profil de recettes des économies. Un pays dont les revenus sont trop dépendants des matières premières sera jugé plus sévèrement qu’une économie diversifiée.

La situation des pays africains vis-à-vis de la dette a changé, ces dernières années. Les États ont eu tendance à privilégier les dettes commerciales, celle qui se prend sur les marchés, parce que les contraintes y sont moindres. « Cette logique est un piège » : quand tout va bien, les dettes commerciales sont remboursées et elles sont bénéfiques.

Mais quand les choses se gâtent, elles se referment sur les emprunteurs. Il est évidemment plus difficile de négocier avec un créditeur privé anonyme qu’avec une institution.

Sur le volet dépense, les pays ont parfois commis des erreurs : ils ont dépensé beaucoup – et se sont endettés – pour financer des infrastructures. Fort bien, mais ils ont sous-estimé les frais d’entretien, de fonctionnement, de ces infrastructures, d’où un coût et des endettements supplémentaires. « D’où une certaine fuite en avant vers la dette, permise par la facilité à emprunter sur les marchés », constatent les experts.

Le marché de la dette s’élargit, avec des produits comme les sukuks, avec la possibilité d’emprunter tant en monnaie locale qu’en devises. Plus les besoins peuvent être satisfaits en monnaie locale (constructeurs ou fournisseurs de matériaux africains, par ex.) plus il est sain de s’endetter en monnaie locale, conseillent les experts.

Pourtant, certains pays africains se sont tournés vers la Chine, qui proposait simultanément les services de ses entreprises et des facilités de paiements. L’Afrique est exposée à hauteur de 140 milliards $ envers la Chine. Ce, parce que les conditions sont flexibles. « Les pays sont entrés dans le piège de l’argent assez facilement disponible, en empruntant davantage que ce dont ils avaient besoin. » 

Certains pays ont même gagé des emprunts sur les infrastructures, comme les ports. En cas de difficulté, ils risquent d’en perdre le contrôle ! « Cette mise en collatéral des infrastructures, essentielles aux économies, est un pari très risqué. »

Plusieurs types de créanciers

De même, certains pays pétroliers ont gagé la dette sur un pourcentage des revenus futurs de l’industrie pétrolière. Quand le prix baril chute, il faut consacrer une part d’un revenu faible, déjà insuffisant, au remboursement de la dette : mécaniquement, celle-ci reste donc très élevée. Le Tchad, par exemple, est tombé dans ce piège.

Progressivement, les pays ont donc diversifié leurs créanciers. Ils se sont éloigné des créanciers bilatéraux publics (Club de Paris) ou privé (Club de Londres).

Ces deux « clubs » étaient connus, car agissaient en lobbying. Aujourd’hui, les conditions de financement des nouveaux créanciers ne sont pas toujours connues, ce qui accroît l’incertitude, aux yeux des marchés et des agences de notation.

Les pays africains ont donc des engagements assez conséquents. Selon les estimations de Bloomfield, l’Afrique du Sud compte 180 milliards $ de stock de dettes, l’Égypte 100 milliards, le Maroc 49 milliards, la Tunisie 40 milliards, la Côte d’Ivoire 14 milliards, la RD Congo 12 milliards.  

Force est de constater que les pays africains – pas tous – ont de plus en plus de mal à rembourser, la crise actuelle ne faisant qu’accentuer le phénomène.

Certains pays ont demandé un moratoire, d’autres envisageraient même de réclamer une annulation. Attention, prévient Bloomfield Ratings, « dans la logique du crédit, ces mesures auront un impact sur la crédibilité de chaque pays ».

Ces demandes de moratoire démontrent les capacités de non-remboursement… Or, si on s’adresse aux marchés, il ne faut pas créer un environnement de pertes pour les créanciers, notamment pour les privés. De leur côté, les créanciers multilatéraux, certes davantage engagé dans une logique d’aide au développement, vont imposer des choix parfois douloureux aux pays endettés.

Nous le savons, les économies africaines sont moins résilientes, et donc leur dette moins soutenable parce qu’elles sont moins diversifiées et ne transforment pas assez leurs matières premières.

Cette situation complique un peu plus l’accès aux financements. Les pays africains sont très dépendants de l’extérieur, comme en témoignent les conséquences des fermetures de frontières.

Dans le même temps, des pays comme les États-Unis ont une tendance à l’isolationnisme. « Il faut que les Africains trouvent leurs propres solutions. La priorité devrait être à la collaboration Sud Sud », martèle Stanislas Zézé. Dès lors, la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine) est « une excellente opportunité, encore faut-il la mettre en application ».

Le Bénin, bon élève

L’endettement a évolué vers la dette extérieure. La dette en devise est exposée aux fluctuations des taux de change. Et vers les créanciers privés, dont les conditionnalités ne sont pas toujours bien comprises. « C’est pourquoi la dette devient plus chère pour nos pays, et plus longue », jugent les analystes.

Selon lesquels il faut procéder à une analyse plus fine des besoins de nos pays et ajuster les dettes en conséquence. L’Afrique n’est pourtant pas obligée de s’endetter à l’extérieur. Comme préalable, il faudrait permettre davantage aux pays africains d’emprunter chez d’autres pays africains. « Une solution continentale est possible, c’est le bon moment pour les pays africains de la créer ! », insiste Stanislas Zézé.

Les spécialistes de Bloomfield considèrent qu’un mécanisme transfrontière n’est pas impossible à créer. La perspective d’une monnaie unique africaine participe de cette logique. « La soutenabilité sera difficile à assurer tant que les pays ne prendront pas des mesures pour atténuer les chocs futurs. »

Les experts prennent l’exemple du Bénin : l’endettement est soutenable, 41% de la dette publique, contre une norme de 70% en Afrique de l’Ouest. « Le service de la dette est encore très supportable », jugent les analystes qui se félicitent que le pays ait refusé d’entrer dans une logique de moratoire de la dette. « Une très bonne chose, car cela montre que l’État a décidé de faire face à ses responsabilités. » Le Bénin aura peut-être davantage de possibilités de financement que ses voisins, dans le futur.

D’autres voies que le moratoire

De son côté, la Côte d’Ivoire est endettée mais sa capacité de remboursement est plutôt bonne, 9% de ses revenus sont consacrés au remboursement, tandis que le fameux ratio dettes/PIB n’est que de 40%. « Ce qui d’ailleurs, suscite notre étonnement face à sa participation à la demande de moratoire », lâche Stanislas Zézé.

La suppression des dettes peut se révéler n’être qu’un cadeau empoisonné, et d’autres moyens sont envisageables pour aider les pays. Ces derniers devaient d’abord voir de quelle manière ils peuvent réaménager et prioriser leurs dépenses. Certaines dépenses peuvent être repoussées, voire supprimées.

C’est pourquoi les institutions multilatérales ont exigé que les pays eux-mêmes fassent la demande, ce qui les met en position de faiblesse. L’expérience de l’initiative PPTE, à l’endroit des pays pauvres très endettés aurait dû nous alerter : l’annulation de la dette a signifié aux pays des exigences très strictes.

Ici, il faut se demander quel est l’objectif d’une éventuelle annulation : sommes-nous dans le cas d’un pays qui veut de la souplesse financière pour investir, par exemple dans la santé, ou sommes-nous dans une logique de survie pour limiter les dégâts ?

La capacité des Etats africains à affronter la crise sera un bon indicateur de leur capacité de résilience et, à terme, de la soutenabilité de leurs dettes.

Écrit par
Par Paule Fax & Laurent Soucaille

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