En finir avec le blanchiment

Onze des 26 pays figurant sur la liste grise du Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI) se trouvent en Afrique. L’Afrique du Sud et le Nigeria sont les deux premiers pays à figurer sur cette liste infâmante.
La « liste grise » reflète les déficiences des systèmes de lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et le financement de la prolifération des armes. Si la confiance est le fondement même des opérations bancaires d’un pays, celle dans les banques sud-africaines a été quelque peu ébranlée par deux événements récents. Tout d’abord, on craint que trop peu de choses soient faites pour prévenir la criminalité financière internationale. La presse a révélé que des fonctionnaires de plusieurs banques sud-africaines travaillaient pour des gangs de blanchiment d’argent.
Il est essentiel que tout soit mis en œuvre pour restaurer la réputation de ce qui est probablement le secteur bancaire le plus développé du continent. Alors que l’économie sud-africaine est en difficulté depuis de nombreuses années, le secteur bancaire a fait preuve d’une grande résilience depuis 2020, les niveaux de fonds propres de catégorie 1 restent supérieurs au niveau requis par la Banque de réserve sud-africaine (SARB), à savoir 4,5 %.
Les flux financiers transfrontaliers devraient considérablement augmenter avec la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine, de sorte qu’il sera de plus en plus important de mettre en œuvre des contrôles panafricains efficaces de lutte contre le blanchiment d’argent.
Bien qu’il y ait 31 banques et trois banques mutuelles dans le pays, les cinq grandes banques – Standard Bank, Absa, FirstRand, Nedbank et Investec –représentent environ 90 % du total des actifs du secteur. La seule ombre au tableau est Ubank, qui s’est effondrée en 2022, enregistrant un ratio d’adéquation des fonds propres de seulement 3 %, mais qui a été rachetée par African Bank of South Africa à la fin de l’année.
Toutefois, le secteur a été quelque peu assombri par les défaillances de ses mécanismes de prévention des délits financiers. Dans un rapport d’octobre 2021, le groupe d’action financière internationale (GAFI) a conclu que les risques de blanchiment d’argent « restent à traiter », les organismes chargés de l’application de la loi n’étant pas suffisamment équipés pour enquêter sur les activités suspectes. Le pays s’est donc vu accorder jusqu’à octobre 2022 pour démontrer qu’il a accompli des progrès suffisants pour remédier à ces lacunes. On considère généralement que les normes de la réglementation financière en Afrique du Sud se sont détériorées au cours des neuf années pendant lesquelles l’ancien président Jacob Zuma était au pouvoir, jusqu’en 2018. Une enquête judiciaire sud-africaine, baptisée « Commission Zondo », a conclu, en 2022, que l’augmentation de la corruption sous la présidence Zuma s’était accompagnée d’un affaiblissement systématique des systèmes de lutte contre le blanchiment d’argent.
Liste grise
Les autorités sud-africaines ont obtenu quelques succès par le passé, notamment l’arrestation de personnes associées à l’effondrement de la VBS Mutual Bank, qui s’est dissoute en 2018 avec d’énormes dettes. Pourtant, le pays doit encore travailler à reconstruire sa réputation suite aux multiples scandales de corruption associés à la crise de la capture de l’État par laquelle la famille Guptaa a pu influencer l’attribution de contrats dans de nombreux départements gouvernementaux.
En février, le GAFI a finalement décidé de placer l’Afrique du Sud sur sa liste grise en raison de lacunes dans ses systèmes de lutte contre le blanchiment d’argent (AML), le financement du terrorisme (CFT) et le financement de la prolifération des armes (CPF). Les pays figurant sur la liste grise font l’objet d’une surveillance continue de leurs mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et le financement de la prolifération des armes. Le Trésor national et la banque centrale ont déclaré qu’ils s’efforceraient de répondre à ces préoccupations.
Le Nigeria a également été ajouté à la liste grise le même jour, ce qui porte à 26 le nombre de pays figurant sur cette liste, dont onze en Afrique. Trois autres pays figurent sur la liste noire parce qu’ils sont encore plus préoccupants : l’Iran, le Myanmar et la Corée du Nord. Selon l’enquête mondiale sur la criminalité économique et la fraude, cinq des dix pays les plus touchés par la fraude se trouvent en Afrique. Le Trésor sud-africain juge que « les coûts d’une surveillance accrue seront nettement inférieurs aux coûts à long terme de la contamination de l’économie sud-africaine par les flux de produits du crime et de la corruption ».
Le fait d’être placé sur la liste grise augmente les coûts de mise en conformité pour les banques et peut rendre plus difficile l’obtention de financements, que ce soit de la part de banques ou d’institutions multilatérales de développement. Beaucoup dépendra de la rapidité avec laquelle ces faiblesses seront résolues.
Une enquête menée par Al Jazeera en mars 2023, a révélé que des hauts fonctionnaires des services de conformité et d’informatique de quatre grandes banques sud-africaines blanchissaient des millions de dollars pour le compte d’un gang qui faisait sortir de l’or du Zimbabwe en contrebande et vendait des cigarettes sur le marché noir. En plus d’accepter des transferts de fonds, ils auraient effacé la trace numérique de ces transactions en échange de pots-de-vin, comme le prouvent des milliers de documents et une série d’entretiens.
Préserver l’intégrité du système
Certaines des personnes accusées ont quitté leur poste, tandis qu’une banque a suspendu deux employés cités dans l’enquête et collabore avec les autorités chargées de l’application de la loi. Une autre des banques citées a déclaré qu’elle avait communiqué aux autorités compétentes les détails des transactions suspectes qu’elle avait identifiées, tandis qu’une autre banque a déclaré dans un communiqué qu’elle considérait ces allégations avec sérieux et que les procédures régulières étaient suivies en interne.
En mai, le président sud-africain Cyril Ramaphosa confirmait que des enquêtes officielles avaient été lancées par l’État sur ces allégations : « Nous sommes déterminés à préserver l’intégrité de notre système financier dans l’intérêt de l’économie en général et des citoyens ordinaires. »
Diverses solutions doivent être mises en œuvre pour lutter contre le blanchiment d’argent, car aucun contrôle du recrutement du personnel ne peut éliminer tous les employés susceptibles d’accepter des pots-de-vin. En décembre, la Bank of Africa d’Afrique du Sud a choisi de déployer un logiciel d’IA, dans un premier temps au Maroc, pour détecter toutes les formes de fraude. Fourni par la société suisse NetGuardians, le système crée des profils de clients grâce à l’apprentissage automatique de l’IA et à l’analyse comportementale, qui seront utilisés pour vérifier toutes les transactions. Le directeur régional de NetGuardians pour le Moyen-Orient et l’Afrique, Jonathan Somers, est formel : « L’Afrique est un continent qui offre de plus en plus d’opportunités, et l’infrastructure technologique joue un rôle important dans la facilitation de cette croissance. La solution anti-fraude de NetGuardians peut fournir une protection avancée contre la fraude tout en maintenant les faux positifs à un minimum absolu ».
Toutefois, il est essentiel d’empêcher les employés de banque de dissimuler des transactions en supprimant les traces numériques. La sophistication croissante des solutions d’IA pourrait être la clé de l’identification des irrégularités financières au cours des prochaines années.
Fonds pour l’intégrité de l’Afrique
Il ne fait aucun doute qu’il faut investir davantage dans la lutte contre la corruption en général et le blanchiment d’argent en particulier. Une plus grande coopération entre les autorités de régulation des différents pays serait également utile. Cependant, même les fonds qui ont été mobilisés pour soutenir les enquêtes sur la corruption en Afrique ne sont pas toujours utilisés. En 2016, la Banque africaine de développement a créé le Fonds pour l’intégrité de l’Afrique afin de lutter contre la corruption, mais elle a admis en août dernier qu’elle n’avait rien dépensé. Les réserves du Fonds, d’un montant de 55,25 millions de dollars, avaient été collectées auprès d’entreprises qui avaient réglé des affaires liées à des irrégularités financières. L’argent était censé être donné aux forces de police africaines, aux ONG et aux autorités fiscales impliquées dans les enquêtes sur la corruption, mais il a été rapporté que les ONG qui avaient demandé un financement avaient été informées que le fonds n’était toujours pas opérationnel, ce qui a suscité des critiques de diverses sources et soulevé des questions sur les capacités opérationnelles de la BAD.
Comptant 81 actionnaires, dont les gouvernements de 54 États africains et d’autres grandes économies internationales, la BAD a le pouvoir d’enquêter sur les allégations de corruption dans les projets auxquels elle a prêté de l’argent. Un de ses dirigeants confie au Financial Times, « Le Fonds africain d’intégrité n’a pas été mis en œuvre pour atténuer les risques liés aux conflits d’intérêts, à la transparence et aux procédures régulières qui ont été identifiés au cours du processus de mise en œuvre… La direction a identifié une institution indépendante pour déployer les fonds. La proposition de clôture officielle du Fonds pour l’intégrité de l’Afrique (qui nécessite une résolution du conseil d’administration) et de nomination de l’institution indépendante sera prochainement soumise au conseil d’administration pour approbation. »
Le moment est peut-être venu pour une nouvelle organisation spécialisée d’assumer ce rôle.
@ABanker