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African Banker Analyses

Dette zambienne, faut-il blâmer la Chine ?

Dette zambienne, faut-il blâmer la Chine ?
  • Publiéfévrier 19, 2023

Les politiciens américains ont pu affirmer que Pékin bloque les négociations sur la dette de la Zambie. Laquelle vient d’ailleurs de refuser l’offre chinoise de restructuration. Visiblement, la nature complexe de la dette est la véritable raison des retards accumulés.

 

Tout en remerciant la Chine pour « ses efforts », le ministre des Finances, Situmbeko Musokotwane, a rejeté, la semaine passée, l’idée de larges négociations sur la dette de son pays. Enjeu : trouver une solution rapide, qui donne de l’air aux Zambiens. En effet, la population ne pourrait pas supporter une restructuration de la dette qui passerait par des mesures drastiques d’austérité, explique le gouvernement de Zambie.

La Zambie cherche à restructurer environ 13 milliards de dollars de dette extérieure cette année, dont près de la moitié est détenue par des banques chinoises.

De nombreux signes suggèrent que l’économie zambienne est bien placée pour se renforcer considérablement, quand la restructuration de la dette sera achevée, si elle l’est un jour. Par exemple, le prix du cuivre, un matériau très demandé, est en hausse.

Lors d’une discussion animée devant un public de l’Université de Zambie fin janvier, la directrice générale du FMI (Fonds monétaire international), a d’ailleurs a félicité les dirigeants du pays hôte pour leurs tentatives de réforme de l’économie après un défaut de paiement de la dette en 2020.

« La Zambie fait tout ce qu’il faut », a déclaré Kristalina Georgieva. « Il est maintenant temps pour les créanciers de faire leur part et d’achever cette restructuration, afin de donner plus d’espace à la Zambie pour se développer. » Une allusion à la Chine, largement critiquée par les organisations financières internationales et les gouvernements occidentaux pour avoir – suppose-t-on – bloqué les efforts de la Zambie pour restructurer sa dette.

La secrétaire d’État américaine au Trésor, Janet Yellen, qui s’est rendue en Zambie dans le cadre d’une récente tournée en Afrique, a également accusé la Chine d’être « un obstacle » à la fin de la crise de la dette zambienne et a déclaré que la situation avait « pris beaucoup trop de temps » pour être résolue. La situation remonte à novembre 2020, lorsque, dans le contexte des turbulences économiques liées à la pandémie de coronavirus, la Zambie a manqué le paiement de 42,5 millions $ d’euro-obligations et a cessé de rembourser environ 17 milliards $ de dette extérieure.

Deuxième exportateur de cuivre d’Afrique après la RD Congo, la Zambie a été durement touchée par la forte dépréciation du prix de cette matière première au début de la pandémie. L’effondrement presque total des voyages et du tourisme internationaux provoqué par la pandémie a également eu un impact important. On estime qu’en 2019, les voyages et le tourisme ont contribué pour plus de 7 % au PIB de la Zambie, mais le secteur a été pratiquement inexistant pendant les deux années de la crise sanitaire.

Dans ce contexte, le niveau d’endettement de la Zambie constituait un problème particulier, étant donné non seulement le montant que le pays avait accumulé, mais aussi la manière dont l’argent avait été dépensé. M’khuzo Mwachande, banquier d’affaires chez Pangaea Securities à Lusaka, déclare à African Business qu’ « il n’y a rien de mal à la dette », si elle est utilisée pour stimuler la croissance économique, mais que le « mauvais usage des fonds par la Zambie nous a conduits là où nous sommes ».

Selon le banquier, « nous aurions dû mieux investir les fonds dans des secteurs cruciaux comme l’industrie manufacturière, l’énergie et l’agriculture ; les gouvernements ont manqué de prévoyance ».

Le FMI a de même noté que « la Zambie doit faire face à l’héritage d’années de mauvaise gestion économique, avec un effort d’investissement public particulièrement inefficace » – un verdict indirectement accablant pour l’administration du président Edgar Lungu, qui a dirigé le pays de 2015 à 2021. Bien qu’un gouvernement de « nouvelle aube » dirigé par le président Hakainde Hichilema ait été élu en 2021 pour dépasser cet héritage, une récente enquête d’Afrobaromètre suggère qu’environ la moitié des Zambiens sont toujours préoccupés par la direction que prennent le pays et sa gestion économique.

Les marchés émergents comme la Zambie ont également souffert de l’appréciation du dollar depuis 2020, qui a rendu plus coûteux le service de la dette libellée billets verts. La hausse des taux d’intérêt dans le monde a encore fait grimper les remboursements de la dette.

 

La diplomatie du piège de la dette ?

Alastair Newton, cofondateur et directeur d’Alavan Business Advisory à Livingstone, déplore que la communauté internationale n’ait pas réussi à s’attaquer au problème de la dette des marchés émergents. « Lors du dernier sommet de Bali, le G20 était bien trop préoccupé par d’autres questions pour travailler sur les détails requis pour son cadre commun de restructuration de la dette. »

Comme l’indiquent les commentaires de Kristalina Georgieva, la Chine est au cœur de cette situation, tant en Zambie que dans plusieurs autres pays africains. Les prêteurs de Pékin représentent désormais près de 700 milliards $ de dettes privées et publiques sur le continent.

Alors que la Chine a accepté de restructurer la dette d’autres pays en difficulté économique, comme le Tchad, les responsables politiques occidentaux ont laissé entendre que Pékin retardait délibérément les négociations avec la Zambie. Dans certains cas, l’implication est que la Chine s’engage dans « une diplomatie du piège de la dette ».

D’autres suggèrent que ce retard pourrait avoir des causes plus pratiques. Le Financial Times rapporte que le gouvernement zambien a peu entendu Pékin sur les conditions spécifiques de réduction des prêts, tandis que certains analystes ont mis en cause un manque d’expérience et de coordination entre les banques d’État et de développement chinoises qui ont prêté au pays. La Chine a désigné l’Export-Import Bank of China, l’une des trois « banques politiques » du gouvernement, pour représenter les prêteurs chinois dans les discussions sur la restructuration de la dette.

 

La nature changeante de la dette

Carl Mbao, associé directeur chez Frontier Capital Partners à Lusaka, estime que les intentions de la Chine ne sont probablement pas malveillantes : « Nous devons prendre soin d’isoler cette situation de la géopolitique de la question. » Selon lui, une partie de la narration autour de l’emprunt de la Zambie auprès de la Chine est en partie alimentée par la « surprise » géopolitique que représente le fait que la Zambie soit passée d’une situation où elle dépendait principalement des économies occidentales à une situation où elle est davantage financée par la Chine.

La directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, en compagnie du président zambien Hakainde Hichilema, en janvier 2023.
La directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, en compagnie du président zambien Hakainde Hichilema, en janvier 2023.

 

Il suggère que bon nombre des difficultés qui ont entravé les progrès de la restructuration de la Zambie ne viennent pas de la Chine, mais « d’un changement dans la nature de la dette souveraine ».

« Dans les années 1990, on parlait surtout de dette bilatérale », note Carl Mbao. Dans l’ensemble, les contreparties étaient des entités finies et connues avec lesquelles il était facile de négocier. 

« Lorsqu’il s’agit de nouveaux instruments, tels que les euro-obligations, il y a souvent plusieurs détenteurs du titre sous-jacent qui ne sont pas nécessairement facilement identifiables. La négociation devient alors beaucoup plus compliquée. »

Nos spécialistes interrogés jugent tous deux que la Chine est prête à essayer de trouver une solution à ces complexités juridiques.  « Tous ceux à qui j’ai parlé ont souligné à quel point la Chine a eu une attitude constructive dans le processus de Zambie… tout ce que j’entends, c’est que la Chine essaie de trouver des moyens nouveaux et imaginatifs pour amener tout le monde vers un résultat acceptable », explique Alastair Newton.

 

Une crise qui n’aurait pas dû être

Le grand paradoxe du cas de la Zambie est que les fondamentaux de son économie sont relativement solides. Si le pays a inévitablement souffert tout au long de la pandémie, et des difficultés économiques mondiales qui ont suivi, beaucoup pensent que la Zambie n’aurait pas dû se retrouver dans cette situation.

Alastair Newton précise qu’il n’était « pas particulièrement surpris » par le défaut de paiement en 2020, mais qu’il « aurait du mal à expliquer pourquoi une somme relativement faible n’était pas disponible pour payer à ce moment-là ». Carl Mbao confirme : « Numériquement parlant, c’est presque comme si cela ne devait pas être une crise. »

En effet, si et quand la restructuration de la dette sera achevée, de nombreux signes suggèrent que l’économie zambienne est bien placée pour se renforcer considérablement.

Le prix du cuivre est en hausse, notamment parce qu’il s’agit d’un matériau essentiel pour les plans de transition énergétique, le monde étant à la recherche d’un avenir plus vert. Le tourisme international repart à la hausse, et 1,5 million de personnes devraient visiter la Zambie en 2023. L’inflation reste importante, à un peu moins de 10 %, mais elle est bien inférieure au taux de 22 % que la Zambie a connu en 2021.

Le président actuel, que Alastair Newton décrit comme « très favorable aux entreprises », a lancé plusieurs initiatives visant à encourager l’innovation et les entreprises du secteur privé. Le transfert pacifique du pouvoir en 2021 a montré aux investisseurs étrangers que la Zambie dispose d’institutions solides et d’un engagement en faveur de l’État de droit.

La Zambie doit encore résoudre le problème de la dette, mais elle semble avoir de bonnes perspectives économiques. Les négociations sur la dette de la Zambie sont bien avancées, toutes les parties concernées font preuve de bonne volonté et il existe une possibilité raisonnable de parvenir à un accord dans un avenir pas trop lointain.

@ABanker

 

Écrit par
Harry Clynch

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