Des heures difficiles pour les banques sud-africaines

Avec la crise de l’approvisionnement en électricité qui menace une grande partie de l’économie et gâche la vie des citoyens, les banques d’Afrique du Sud doivent faire face à de sérieux problèmes.
Les signaux sont contradictoires, concernant le secteur bancaire sud-africain. Tandis que Moody’s modifie son jugement d’ensemble de « négatif » à « stable », l’indienne ICICI annonce son intention de quitter le pays, ne pouvant tirer son épingle du jeu au sein de l’environnement concurrentiel. Et comme redouté, l’Afrique du Sud a été placée sur la « liste grise » du Gafi, signe de mauvaise coopération en matière de lutte contre le blanchiment d’argent.
Fitch Ratings souligne la résilience dont ont fait preuve les banques, en Afrique du Sud et sur tout le continent, au cours des deux dernières années. Toutefois, l’agence de crédit précise que le tableau s’assombrit pour le secteur.
De plus, l’Afrique du Sud est toujours plongée dans une grave crise de l’énergie qui affecte la vie des citoyens et freine la croissance économique. Eskom Holdings, la compagnie publique du pays, est responsable de la production de plus de 90 % de l’électricité nationale. Comme ses centrales n’ont pas fait l’objet d’investissements ou d’un entretien adéquats, une grande partie de la machinerie ancienne ne fonctionne plus et Eskom n’a pas été en mesure de répondre à la demande.
Une série de délestages a inévitablement de graves répercussions économiques, la Banque mondiale estimant que l’Afrique du Sud a perdu 24 milliards de dollars de croissance en 2022 en raison des coupures de courant. Le chômage a grimpé à près de 33 % et les prestations sociales de l’État ont explosé, notamment en raison de la pandémie de coronavirus, le nombre de bénéficiaires de subventions ayant été multiplié par six depuis 1998. La volatilité des marchés de l’énergie, provoquée à la fois par les problèmes intérieurs de l’Afrique du Sud et par des facteurs mondiaux découlant de la guerre en Ukraine, a contribué à faire grimper l’inflation à des niveaux qui n’avaient plus été vus depuis les années 1970, avec un pic de 7,8 % en juillet de l’année dernière.
Pourtant, l’Afrique du Sud est largement considérée comme le pays le plus avancé d’Afrique en ce qui concerne le secteur bancaire. En 2021, les banques sud-africaines disposaient de loin du plus grand nombre de fonds propres.
Mais comment ces banques vont-elles s’en sortir alors que le pays est aux prises avec les problèmes macroéconomiques plus vastes qui l’assaillent ? La Banque centrale du pays, la South African Reserve Bank (SARB), a averti dans une étude récente que les délestages pourraient constituer une menace pour la stabilité financière. La SARB note que « l’approvisionnement insuffisant et peu fiable en électricité est susceptible de menacer la viabilité de certaines entreprises, en particulier les PME, dans un avenir prévisible, les pertes pouvant se répercuter sur le secteur financier ».
Répondre à la hausse des risques
La SARB fait valoir que les délestages, « influencent négativement le sentiment des investisseurs ». La réduction de l’activité des PME, l’augmentation du nombre de faillites et de prêts non productifs, et la diminution des entrées de capitaux sont autant d’éléments qui laissent présager un environnement plus difficile pour les banques sud-africaines.

Les délestages posent également des problèmes plus directs aux banques sud-africaines. D’une part, les fréquentes coupures de courant compliquent la tâche des banques qui doivent s’assurer que les distributeurs automatiques de billets continuent de fonctionner, ce qui laisse présager que les consommateurs ne seront pas nécessairement assurés d’avoir accès à leurs liquidités.
Itumeleng Mpatlanyana, directeur fondateur de la Fintech gazaataDotCom, basée à Pretoria, estime que ce contexte pourrait accélérer la tendance des « jeunes investisseurs à ne pas vouloir placer leur argent dans une banque ». Il explique à African Business que les consommateurs « ne sont pas satisfaits du rendement de 6 % par an que les banques sud-africaines offrent actuellement », surtout en période d’inflation élevée. Les difficultés opérationnelles, causées par les pénuries d’énergie et les délestages, pourraient inciter davantage les consommateurs à rechercher des services alternatifs.
Peut-être plus inquiétant encore, la SARB a fait part de ses préoccupations quant à la menace qui pèse sur les infrastructures bancaires essentielles. De nombreuses grandes banques, comme la Standard Bank, ont tenu à souligner qu’elles disposaient d’installations électriques de secours « complètes » afin de réduire au minimum les perturbations.
Mais la menace de turbulences majeures dans le secteur bancaire sud-africain risque de peser lourdement sur les performances du secteur cette année. À tout le moins, les banques devront consacrer des ressources accrues à l’atténuation des perturbations opérationnelles.
Josh Taylor, un investisseur en capital-risque basé au Cap, estime que le climat bancaire actuel pourrait également saper la confiance dans les banques sud-africaines ; une tendance qui, selon lui, s’accentue depuis des années. « Nous avons toujours connu de la méfiance à l’égard des banques », explique Josh Taylor à African Business. « Les frais bancaires sont notoirement élevés. Il y a beaucoup de transactions informelles, la plupart des gens sous le seuil de pauvreté préférant utiliser de l’argent liquide. »
Le manque de confiance dans les banques que Josh Taylor identifie n’est pas susceptible de s’améliorer avec le placement de l’Afrique du Sud sur la « liste grise » des pays qui n’ont pas réussi à arrêter le flux de capitaux illicites. Voilà le pays placé aux côtés de pays traditionnellement plus risqués comme le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal et l’Ouganda ; cette décision risque de mettre en péril les entrées de capitaux étrangers. Et elle augmente également les coûts de mise en conformité pour les banques, les obligeant à entreprendre des processus de diligence raisonnable et de lutte contre le blanchiment d’argent plus rigoureux.
La hausse des taux d’intérêt à la rescousse
Sur le plan macroéconomique, les nouvelles ne sont pas toutes mauvaises pour les banques sud-africaines. En réponse à la hausse de l’inflation, la SARB a relevé les taux d’intérêt à huit reprises consécutives. Depuis le début du cycle de resserrement monétaire de la banque centrale en novembre 2021, la SARB a ajouté un total de 375 points de base au taux d’intérêt, qui s’établit désormais à 7,25 %. Dans la limite du raisonnable, des taux d’intérêt plus élevés profitent aux banques car elles sont en mesure d’obtenir des rendements plus élevés sur leurs prêts, ce qui stimule les revenus et la rentabilité.
Un récent rapport de Fitch Ratings souligne la résilience dont ont fait preuve les banques, en Afrique du Sud et sur tout le continent, au cours des deux dernières années. Toutefois, l’agence de crédit précise que le tableau s’assombrit pour le secteur en raison de l’« affaiblissement des États souverains africains et des risques de contagion importants pour les banques ». Les risques pour les banques sud-africaines en 2023 sont certainement multiples. L’instabilité politique est élevée, encourageant une plus grande volatilité des marchés et dissuadant les étrangers de s’engager dans le secteur bancaire sud-africain. Les prévisions de croissance du PIB ont été revues à la baisse. L’inflation élevée, la hausse des taux d’intérêt et la dépréciation du rand sud-africain risquent de rendre les choses plus difficiles pour les consommateurs et les entreprises sud-africaines, ce qui freinera l’activité économique et la demande de services financiers.
@ABanker