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Décideurs

Hani Salem Sonbol*: « Nous finançons les chaînes de valeur clés »

Hani Salem Sonbol*: « Nous finançons les chaînes de valeur clés »
  • Publiéjuin 7, 2019

L’Islamic Trade Finance Corporation a multiplié par cinq ses engagements sur le continent africain depuis 2014, avec des opérations cumulées dépassant les 17 milliards de dollars. Entretien avec son PDG, Hani Salem Sonbol.

Propos recueillis par Olivier Deau 

Depuis 2008, les engagements financiers de ITFC en Afrique subsaharienne ont augmenté, jusqu’à dépasser un milliard de dollars par an, quelles sont les raisons de cet essor ? 

Notre mandat est de stimuler la croissance du commerce africain. En Afrique, nous avons compris qu’il fallait non seulement avoir des produits de financement adaptés, mais aussi des équipes de renforcement des capacités, pour que les bénéficiaires soient en mesure d’exploiter nos solutions de finance islamique.

Depuis 2014, nous avons mis en oeuvre notre stratégie « Sub-Saharan African Initiative » en renforçant des équipes sur le terrain. Nos implantations régionales à Dakar et à Rabat (et dans un futur proche en Ouganda), nous ont permis de nous associer plus étroitement avec les pays africains en travaillant avec eux sur deux secteurs précis : l’agriculture et l’énergie, sans oublier un dispositif d’aide aux PME.

Depuis 2008, sur l’ensemble des pays africains, incluant l’Afrique du Nord, nous avons effectué 17,6 milliards $ d’engagements dont 15 dans l’énergie et 2,7 dans l’agriculture. Sur l’Afrique subsaharienne, notre objectif était d’engager 1 milliard $ par an d’opérations et nous l’avons dépassé dès 2018, soit plus tôt que prévu. 

Comment avez-vous structuré votre organisation pour approcher les métiers d’accompagnement à l’export en Afrique ? 

Au niveau central, nous avons créé une nouvelle organisation interne avec une cellule opérationnelle qui dirige deux divisions, celle des financements structurés. Une deuxième équipe mène les programmes de renforcement de capacités et de développement du business. 

Comment couvrez-vous vos risques opérationnels sur vos activités sur le continent ? 

Nos activités se concentrent sur les secteurs productifs et nous ne sommes pas exposés à des risques spéculatifs. Nous couvrons nos risques tout d’abord avec une capitalisation robuste.

En février 2019, Moody’s nous a attribué la note A1, assortie d’une perspective « stable », en bonne partie grâce à cette capitalisation qui restera substantielle. Ce, en dépit d’un plan triennal qui va progressivement augmenter notre ratio de dettes sur fonds propres, entre 30 % à 40 %. Nous avons également des pratiques prudentielles élaborées sur la gestion de la liquidité et de la trésorerie. Enfin…

Le moment est bon pour l’intégration économique sur le continent africain. Cette stratégie portera ses fruits, à terme, pour renforcer les relations commerciales entre les pays. Nous travaillons sans relâche sur ces enjeux commerciaux. 

…le soutien implicite de la Banque islamique de développement à notre institution, en tant que membre de la BID, nous donne un profil de risque très bon même s’il n’y a pas de lien contractuel de soutien au capital de la BID vers ITFC. 

Tous les pays africains n’ont pas de législation sur les produits de finance islamique, même lorsqu’ils sont membres de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), membres auxquels votre fonds est dédié, comment opérez-vous ? 

Nos solutions apportent de la stabilité et de la prévisibilité pour les bénéficiaires. Nous avons quatre techniques majeures d’intervention qui sont particulièrement adaptées pour le commerce. Nous finançons l’achat de matériel, d’intrants ou de matières premières pour le compte du client, et nous lui revendons avec des paiements étalés en lui transférant la propriété. 

Il est vrai que la finance islamique ne bénéficie pas toujours de cadre législatif adapté dans tous les pays, mais cela n’empêche pas nos opérations. De plus, nous menons un dialogue avec les régulateurs nationaux et les opérateurs bancaires pour développer nos offres de finance islamique dans un cadre régulé.

Nous travaillons sur de nouveaux produits tels que les obligations de paiement bancaire, les reçus de fiducie et les garanties d’expédition qui apporteront des appuis pour les exportateurs. Dans le secteur de l’ingénierie financière, qui est en plein développement, nous travaillons également à proposer de nouvelles solutions. 

Sur quels pays concentrez-vous vos activités en Afrique ? 

Nous travaillons essentiellement avec les pays membres de l’OCI pour l’essentiel de nos opérations. Ces dernières années, nous avons beaucoup développé nos activités avec les pays d’Afrique francophone, le Burkina Faso, le Cameroun, le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, des pays dans lesquels notre engagement est fort dans les deux secteurs cibles, l’énergie et l’agriculture.

Le secteur agricole y est structuré de manière comparable, à travers des coopératives agricoles qui rassemblent les producteurs et des sociétés publiques qui fournissent les intrants (le matériel ou les engrais). Notre offre permet d’avancer les achats d’intrants en contrepartie de garanties apportées par les entreprises d’État ou par les producteurs.

Nous pouvons traiter directement avec les producteurs à travers des produits de financement structuré pour le commerce ou le plus souvent avec les entreprises publiques qui approvisionnent ces coopératives. 

Dans l’agriculture, justement, à quel niveau des filières vous engagez-vous et vers quelles productions ? 

Nous intervenons dans des filières à fort potentiel qui sont déjà structurées vers l’export, tels que le coton, l’arachide ou le cacao. Il est nécessaire que les producteurs soient organisés et disposent d’une taille suffisante pour des productions dont la valeur commerciale est connue.

Au total, ITFC a engagé 740 millions $ dans le secteur agricole en 2018 et l’Afrique subsaharienne compte pour 50 % de ces engagements. Notre portefeuille, dans le secteur agricole, représente 14 % des engagements totaux de l’ITFC, et il est en plein développement, puisqu’en 2018, il a augmenté de 71 %.

En Afrique, c’est donc un secteur que nous soutenons davantage, parce qu’il a un grand impact sur l’économie : 65 % des emplois en Afrique s’y concentrent, les effets d’entraînement sont extrêmement forts. 

Dans le domaine de l’énergie, un secteur stratégique, quels sont vos interlocuteurs et votre mode opératoire ? 

Étant donné les volumes, ce sont plutôt les États et les grands distributeurs, souvent publics, qui font appel à nos services. Sur le continent, la demande est orientée vers les énergies fossiles, mais nous examinons tous les projets. Nous sommes capables d’apporter de la plus-value pour optimiser le coût des factures pétrolières, comme le montre notre récente collaboration aux Comores, un pays fortement dépendant du pétrole.

Sur la base de consultations avec les acteurs de la filière, nous avons permis d’optimiser pour plus de 5 millions $ les achats de la société publique de distribution, la Société comorienne des hydrocarbures, pour une enveloppe de 100 millions $ depuis 2014.

Nous sommes également engagés à Djibouti sur la question de la sécurisation de l’approvisionnement en pétrole. Ce secteur représente la majorité de nos engagements sur le continent et l’enjeu de la stabilité de l’approvisionnement énergétique est vital pour les pays. 

Comment l’ITFC aborde-t-elle la problématique du financement des PME, une des difficultés récurrentes sur le continent ? 

Nous nous appuyons sur des…

Nos activités se concentrent sur les secteurs productifs et nous ne sommes pas exposés à des risques spéculatifs. Nous couvrons nos risques tout d’abord avec une capitalisation robuste. C’est pourquoi Moody’s nous a attribué la note A1, assortie d’une perspective « stable ». 

… partenariats avec les institutions bancaires du continent qui sont plus proches des bénéficiaires. Nous mettons à disposition des lignes de financement dédiées aux PME.

Néanmoins, cette approche n’est pas suffisante, nous avons constaté qu’il fallait accompagner cette disponibilité des outils financiers par des formations non seulement du côté des bénéficiaires pour qu’ils puissent présenter un business plan solides aux banques, mais aussi du côté des banques elles-mêmes, pour mieux apprécier les projets proposés avec des critères plus adaptés à des projets plus modestes et plus risqués mais avec des potentiels intéressants.

Depuis 2017, nous avons tissé un dialogue spécifiquement tourné vers le financement des PME au Togo, Bénin, Burkina Faso, Sénégal et Côte d’Ivoire, avant de lancer le Programme ouest-africain pour les PME dans la zone Uemoa, en partenariat avec Coris Bank international. Au Burkina Faso, nous supervisons un projet pilote, que nous développerons au Sénégal, également cette année. 

En vous concentrant sur les matières premières, que ce soit l’énergie et les productions agricoles d’exportation, ne contribuez-vous pas à accentuer le manque de diversification dans la structure des échanges ? 

Notre impact se concentre sur des chaînes de valeur clés pour le continent. Le secteur agricole, par exemple, est mûr pour l’innovation et le développement des PME et il est un de ceux qui produisent les emplois et la richesse sur le continent.

Nous proposons des initiatives également pour favoriser le commerce entre pays africains et entre pays membres de l’OCI notamment avec un programme de 500 millions $, en partenariat avec Afreximbank, le « Arab-African Trade Bridges ».

Nous apportons un soutien aux entreprises africaines d’exportations à valeur ajoutée pour les aider à exporter vers les pays arabes, nous permettons de sécuriser les lettres de crédits pour l’exportation, et apportons un soutien pour les gros contrats. Nous apportons un conseil technique et des études de marchés ciblés pour les exportateurs. Cette initiative prendra tout son poids notamment dans le contexte de la Zone de libre-échange continentale. 

Toutefois, les zones de libre-échange existent déjà en Afrique, notamment au niveau sous-régional, sans réussir à développer le commerce intra-régional qui reste faible. 

C’est tout à fait juste, cela tient aux structures des commerces extérieurs des pays. Cependant nous observons le momentum d’intégration économique sur le continent africain ; il portera des fruits, à terme, pour renforcer les relations commerciales entre les pays.

Nous travaillons sans relâche sur ces enjeux commerciaux et soutenons l’amélioration des dispositifs de douanes et de gestion des flux commerciaux. Au niveau des chaînes de valeur, il faut soutenir de nouveaux entrepreneurs exportateurs dans de nouvelles filières. Ces initiatives sont par ailleurs soutenues par de nombreuses institutions multilatérales comme l’ITC de Genève.

*PDG de l’Islamic Trade Finance Corporation

Écrit par
Olivier Deau

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