Algérie : Les produits islamiques autorisés et réglementés

Les banques algériennes peuvent désormais proposer huit produits islamiques à leur clientèle. Elles doivent respecter des critères précis d’attribution et distinguer ces produits du reste de leurs activités, sur les plans comptables et commerciaux.
Par Laurent Soucaille
À son tour, l’Algérie accueille des produits de finance islamique. Toutes les banques peuvent commercialiser des titres compatibles avec la charia.
Le Journal Officiel avait publié, mi-mars, le règlement de la Banque d’Algérie qui précise quels sont les produits concernés et leurs conditions de commercialisation. L’Autorité de contrôle vient de recevoir son agrément.
Les produits islamiques peuvent drainer de nouvelles liquidités, aujourd’hui thésaurisés ou circulant hors circuit classique. Ce qui permettra aux banques de consolider leurs dépôts et être en mesure d’accorder davantage de crédits aux entreprises.
« Est considérée comme opération de banque relevant de la finance islamique toute opération de banque qui ne donne pas lieu à la perception ou au versement d’intérêts », souligne le texte.
Qui précise, en son article 4 : « Les banques et établissements financiers désirant mettre en place des produits de finance islamique, doivent notamment disposer des ratios prudentiels conformes aux normes réglementaires et satisfaire au strict respect des exigences en matière d’élaboration et de délais de transmission des reporting réglementaires. »
Les opérations de banque relevant de la finance islamique concernent : la mourabaha, la moucharaka, la moudaraba, l’ijara, le salam, l’istisnaa (lire définitions en encadré), les comptes de dépôt et les dépôts en comptes d’investissement.
On observera que pour le moment, il n’est pas question des sukuks, ces obligations pourtant très prisées des investisseurs, du moins quand les conditions de marché sont favorables. Les sukuks doivent également faire l’objet d’une autorisation spécifique des autorités boursières.
Les opérations de vente de produits islamiques sont soumises à une demande d’autorisation préalable auprès de la Banque d’Algérie. Les banques doivent, avant de les proposer, obtenir la certification de conformité aux préceptes de la charia, délivrée par l’Autorité Charaïque Nationale de la Fatwa pour l’Industrie de la Finance Islamique.
Des guichets séparés des autres activités
Cet organisme ad hoc vient de recevoir l’approbation du Haut conseil islamique (HCI). Le gouvernement algérien, note le HCI, « entend réaliser deux principaux objectifs : réduire le phénomène de la thésaurisation et satisfaire les besoins des citoyens désirant recourir à ce système conformément aux préceptes de la charia islamique, et atténuer les effets négatifs du phénomène du marché parallèle ».
ENCADRE
De quoi parle-t-on ?
La Banque d’Algérie définit les produits ainsi : La mourabaha est un contrat en vertu duquel la banque ou l’établissement financier vend à un client un bien déterminé, meuble ou immeuble, propriété de la banque ou de l’établissement financier, au coût de son acquisition augmenté d’une marge bénéficiaire convenus d’avance, et selon des modalités de paiement, arrêtées entre les deux parties.
La moucharaka est un contrat entre une banque ou un établissement financier et une ou plusieurs parties ayant pour objet la participation dans le capital d’une entreprise, dans un projet ou dans des opérations commerciales en vue de la réalisation de profits.
La moudaraba est un contrat en vertu duquel une banque ou un établissement financier, dénommé bailleur de fonds, fourni le capital nécessaire à un entrepreneur qui apporte son travail dans un projet en vue de la réalisation de profits.
L’ijara est un contrat de location au terme duquel la banque ou l’établissement financier, dénommé bailleur, met à la disposition d’un client, dénommé preneur, à titre locatif, un bien meuble ou immeuble, dont il est propriétaire, pour une période déterminée, en contrepartie du paiement d’un loyer fixé dans le contrat.
Le salam est un contrat par lequel la banque ou l’établissement financier intervient en qualité d’acquéreur d’une marchandise, qui lui sera livrée à terme par son client, en contrepartie d’un paiement comptant et immédiat.
L’istisna’a est un contrat en vertu duquel la banque ou l’établissement financier, s’engage à livrer à son client, donneur d’ordre, ou à acheter auprès d’un fabricant, un bien à fabriquer selon des caractéristiques définies et convenues entre les parties, à un prix fixé, selon des modalités de paiement préalablement arrêtées par les deux parties.
Les dépôts en comptes d’investissement sont des placements à terme laissés à la disposition de la banque par le déposant dans le but d’être investis dans des financements islamiques et d’en générer des profits.
De leur côté, les banques doivent constituer un comité de contrôle charaïque, composé d’au moins trois membres, désignés par l’assemblée générale. Elles doivent garantir l’indépendance administrative et financière du « guichet de finance islamique », séparé du reste des activités, y compris en matière de comptabilité.
Cette séparation doit notamment permettre l’établissement de l’ensemble des états financiers, exclusivement, dédiés à l’activité du « guichet de finance islamique ». Les comptes clients doivent être indépendants du reste des comptes de la clientèle.
Comme pour tout produit financier, les banques algériennes seront tenues de porter à la connaissance de leur clientèle les barèmes et les conditions minimales et maximales qui leur sont applicables. Ils doivent informer les déposants, en particulier ceux titulaires des comptes d’investissement, des spécificités liées à la nature de leurs comptes.
N’en demandons pas trop
L’Algérie part de loin, dans la mesure où la finance alternative aux produits traditionnels ne représente qu’une part inférieure à 3% du marché bancaire et financier global. Poids d’autant plus réduit que les banques publiques étaient quasi absentes de cette niche.
Leur arrivée dans la Finance islamique peut drainer de nouvelles liquidités, aujourd’hui thésaurisées ou circulant hors circuit classique. Ce qui permettra aux banques de consolider leurs dépôts et ainsi être en mesure d’accorder davantage de crédits aux entreprises créatrices d’emplois.
Selon certaines estimations, sur environ 5 000 milliards de dinars (36 milliards d’euros) de monnaie fiduciaire en circulation, qui représente près de 32% de la masse monétaire globale, entre 1 500 à 2 000 milliards de dinars sont épargnés hors circuit bancaire, actuellement, en Algérie.
Lors d’un entretien accordé à la chaîne arabophone Ennahar, le professeur en Sciences économiques Slimane Nacer (université de Ouargla) a expliqué que l’Algérie « doit autoriser finance islamique car le peuple algérien est majoritairement musulman et ne spécule pas sur les intérêts ».
Cela étant, il considère qu’ « il ne faut pas demander davantage à la finance islamique que ce qu’elle peut apporter pour l’économie du pays », considérant que ce segment de marché ne va pas, à lui seul, éradiquer le marché parallèle.
L’universitaire s’interroge également sur la réglementation bancaire adaptée à la banque traditionnelle mais peu favorable, à son sens, à la finance islamique. « Plusieurs dispositions doivent être changées dans le règlement de la Banque centrale. »