Affaire Tidjane Thiam : Que s’est-il réellement passé au Credit Suisse ?

Il était l’un des Africains les plus influents au monde, de par sa haute position dans l’organigramme d’un géant bancaire. Tidjane Thiam a fait les frais de l’affaire dite « des filatures » et a préféré démissionner de son poste de directeur général du Credit Suisse.
Par Laurent Soucaille
Tidjane Thiam quittera le Crédit Suisse le 14 février, après la présentation des résultats annuels. Les soutiens ne manquent pas pour saluer les qualités professionnelles du banquier.
Le 17 septembre 2019. Iqbal Khan, 43 ans, ancien haut cadre du Crédit Suisse et engagé en août chez le concurrent UBS, est suivi en voiture depuis son domicile à Zurich par trois détectives de l’agence Investigo. Remarqués par le banquier d’origine pakistanaise, les trois détectives réussissent à s’enfuir, mais sont arrêtés par la police.
Que fera Tidjane Thiam à compter du 15 février ? Certains évoquent déjà un retour en politique, en Côte d’Ivoire. Carrière politique à laquelle se destinait le banquier, lui qui est né en juillet 1962 dans une famille de politiciens.
Quelques jours plus tard, le site d’information Inside Paradeplatz révèle que c’est le Crédit Suisse qui a mandaté les trois détectives privés pour suivre Iqbal Khan.
La banque aurait voulu savoir si le banquier cherchait à débaucher des ex-collègues. La rivalité – et l’inimitié – entre Iqbal Khan et Tidjane Thiam étaient de notoriété publique. Peu après, on apprenait une filature similaire concernant l’ancien directeur des Ressources humaines de la banque, Peter Goerke.
Et tout récemment, l’association écologiste Greenpeace a affirmé faire l’objet d’une surveillance de la banque ! Ce dernier rebondissement a, vraisemblablement, scellé le sort du Franco-Ivoirien.
Pourtant, rien n’a jamais été prouvé contre le banquier franco-ivoirien ; la direction du Crédit Suisse, qui a reconnu les filatures de ses anciens cadres, a nié la responsabilité de son directeur général.
Ainsi, la veille de sa mise à l’écart, la scrupuleuse fondation Ethos, qui milite pour un investissement responsable, apportait-elle son soutien – faute d’éléments probants, pourrait-on dire – à Tidjane Thiam, réclamant au contraire le départ du président du conseil d’administration du Crédit Suisse, Urs Rohner.
La relation entre les deux hommes étant devenue tendue, c’est en faveur de ce dernier que la majorité du conseil d’administration a tranché. Certains actionnaires étrangers à la Suisse, essentiellement d’influents fonds d’investissement, dont la société londonienne Harris Associates, qui revendique 8% du capital-actions –, avaient pourtant soutenu Tidjane Thiam, s’inquiétant des répercussions pour la banque de son éventuel départ.
En démissionnant, Tidjane Thiam a réaffirmé ne pas avoir été au courant de ces activités illicites mais il reconnaît que cette affaire a perturbé son entreprise. Or, celui qui est souvent considéré comme un génie de la finance, était justement arrivé en 2015 à la tête de la deuxième banque suisse pour la redresser.
Et s’il gardait le soutien des grands actionnaires étrangers de la banque, le conseil d’administration, lui, était devenu hostile. « Je regrette ce qui s’est passé, cela n’aurait jamais dû arriver », écrit le Franco-ivoirien.
Une victime collatérale ?
De son côté, Urs Rohner a tenu à saluer « l’énorme contribution au crédit Suisse de Tidjane, depuis qu’il nous a rejoints en 2015 ». Il est vrai que le directeur général, diplômé de l’École polytechnique et de l’École des Mines, fort de son succès chez le britannique Prudentiel, avait conduit un grand plan stratégique pour le Crédit Suisse, autour de ses deux métiers principaux, la gestion de fortune et de la banque d’investissement, délaissant les activités les plus risquées et les plus aléatoires.
Pour certains, Tidjane Thiam fait figure de victime collatérale du scandale d’espionnage, d’autant que son départ ne règle en rien les problèmes du Crédit Suisse. « Cinq ans plus tard, Tidjane Thiam part après avoir redressé une banque en déliquescence. Elle ne caracole pas en tête des établissements mondiaux les plus sains, mais elle ne ressemble plus du tout à l’ombre de banque, aux placards remplis de fantômes des années subprimes et évasion fiscale, que le Franco-Ivoirien avait alors reprise », commente l’éditorialiste du journal suisse Le Temps.
Que fera Tidjane Thiam à compter du 15 février ? Certains évoquent déjà un retour en politique, en Côte d’Ivoire. Carrière politique à laquelle se destinait le banquier, lui qui est né en juillet 1962 dans une famille de politiciens. Et qui fut, en 1998, ministre de la Planification d’Henri Konan Bédié, avant le renversement du gouvernement fin 1999.