Un cap difficile pour l’Afrique du Nord

La Banque africaine de développement revoit ses objectifs de croissance concernant l’Afrique du Nord. Elle émet de nouvelles recommandations, notamment en matière de valorisation des compétences et de soutien au secteur manufacturier.
Par Laurent Soucaille
Sans surprise, la BAD (Banque africaine de développement) a revu ses prévisions de croissance pour l’Afrique du Nord. Une zone particulièrement affectée, sur le plan sanitaire et sur le plan économique, par la pandémie de Covid-19, mais qui pourrait rebondir sensiblement, si la crise sanitaire ne se prolonge pas. Quoi qu’il en soit, les prévisions de croissances moyennes de 4,4% et 4,5% prévues pour 2020 et 2021 ne sont plus que de lointains souvenirs.
Les projections les plus récentes pour 2020 font état d’une perte de 5,2 points de pourcentage de croissance dans la région, qui enregistrerait une croissance négative de 0,8 %, dans un scénario de référence où la pandémie ne se prolonge guère au-delà de juin 2020. La récession pourrait atteindre 2,3 % dans un scénario plus pessimiste, c’est-à-dire si la pandémie fait encore rage en décembre 2020.
Dans l’ensemble, les effets négatifs de la crise seront fonction de la gravité et de la durée de la pandémie ainsi que de l’efficacité des mesures de riposte engagées, sans oublier le montant des ressources affectées à l’endiguement de la maladie.
En 2019, pour la deuxième année consécutive, l’Afrique du Nord avait été la deuxième région la plus performante en Afrique (3,7% de croissance). Toutefois, les six pays de la région, soit l’Algérie, l’Égypte, la Libye, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie, ont affiché des performances contrastées.
La Mauritanie et l’Égypte ont enregistré les résultats les plus solides dans la région avec un taux de croissance de 6,7 % et de 5,6 % respectivement en 2019. La croissance au Maroc est estimée à 2,5 %. En Algérie (+0,7%) et en Tunisie (+1%), la croissance est modeste.
Le secteur des services contribue le plus au PIB en Afrique du Nord, sauf en Libye. Ce secteur est très fortement touché par l’épidémie à travers les interdictions de voyager, les perturbations dans les transports, la distribution, les hôtels et les restaurants, les centres de divertissement, etc.
On le sait, le tourisme est extrêmement important pour l’Égypte, le Maroc et la Tunisie. En 2018, le secteur du tourisme a représenté 25 % de l’ensemble des exportations de l’Égypte et 20 % de celles du Maroc. Le secteur industriel a été le deuxième plus grand contributeur au PIB nominal en 2019.
Un coup d’arrêt à l’amélioration des performances
Toutefois, « la part du secteur manufacturier dans le PIB est limitée, alors que son développement est fondamental pour la croissance économique », note la BAD. Ce secteur absorbe beaucoup de travailleurs auxquels il offre « de bons emplois productifs et bien rémunérés ». Compte tenu de la forte augmentation de la population, la main-d’œuvre dans la région devrait augmenter davantage.
La performance macroéconomique s’améliore depuis 2016. Toutefois, l’épidémie et son impact défavorable sur les cours des produits de base et la stabilité macroéconomique devraient entraîner la détérioration des déficits budgétaires et des comptes courants dans les pays d’Afrique du Nord.
Le solde budgétaire, estimé à – 5,6 % du PIB en moyenne en Afrique du Nord pour 2019, était plus élevé que la moyenne africaine de – 4,7 %. « Les coûts élevés de refinancement de la dette ont souvent eu pour effet de limiter les dépenses dans les investissements publics, en particulier le développement du capital humain et les transferts ciblés en faveur des pauvres. » Toutefois, les pays de la région ont engagé des mesures importantes d’assainissement de leurs finances publiques depuis 2016.
Compte tenu des mesures contracycliques et budgétaires prises pour atténuer l’impact de la crise du coronavirus sur les populations et le secteur privé, la détérioration des déficits budgétaires est à craindre. Dans un scénario pessimiste, le déficit budgétaire pourrait atteindre 10,9 % du PIB pour la région, et il serait supérieur à 10 % en Algérie (17 % du PIB) et en Libye (22,5 % du PIB), et à 8,7 % du PIB en Égypte.
Le redressement des comptes courants attendra
En Afrique du Nord, l’accès limité aux ressources financières exacerbe la crise du coronavirus. Au cours des dix dernières années, la dette publique générale des pays nord-africains a augmenté, sauf en Libye. Pour la Tunisie, par exemple, où la dette publique extérieure est supérieure à 70 % de la dette totale, « l’éclatement d’une crise financière mondiale peut exposer le pays à un choc exogène important ».
En matière de comptes courants, le redressement prévu attendra. L’impact marqué que la crise a sur les cours des produits de base et sur le commerce touchera fortement les économies nord-africaines.
Les pays de la région ont d’importants liens commerciaux avec la Chine et les pays européens et tirent parti d’importantes recettes touristiques et de transferts de leurs expatriés. Le scénario pessimiste s’appuie sur l’hypothèse d’une réduction de 7,9 % de la demande globale et d’un cours du brut de 20 dollars le baril.
Il laisse entrevoir un déficit du compte courant de 11,4 % du PIB en 2020, surtout attribuable au déficit à deux chiffres des pays exportateurs de pétrole (20 % du PIB et 19,8 % du PIB en Algérie et en Libye respectivement). Un déficit également en Mauritanie (17 % du PIB) en Tunisie (12,2 % du PIB), dont les principaux partenaires commerciaux sont la Chine et les pays européens.
Sur le plan social, regrette la BAD, « la croissance économique n’a été inclusive dans aucun pays, et les disparités sociales et régionales demeurent élevées ».
Double défi en Algérie
La grogne sociale est un des risques intérieurs qui menacent les perspectives de croissance. Toutefois, même si la situation sécuritaire demeure incertaine en Libye, d’autres pays nord-africains ont enregistré certaines avancées.
En Algérie, « le nouveau gouvernement aura la difficile tâche de reformer et de diversifier l’économie dans le contexte de la baisse des cours du pétrole ». Le ralentissement de l’activité dans les grandes économies, aggravé par la pandémie, représente un des risques extérieurs qui menacent les perspectives de croissance.
Les ralentissements des pays avancés et de la Chine auront une incidence défavorable sur le commerce mondial et provoqueront l’incertitude et la volatilité sur les marchés financiers mondiaux.
Les projections les plus récentes pour 2020 font état d’une perte de 5,2 points de pourcentage de croissance dans la région, qui enregistrerait une croissance négative de 0,8 %, dans un scénario de référence où la pandémie ne se prolonge guère au-delà de juin 2020.
Dans l’ensemble, les effets négatifs de la crise seront fonction de la gravité et de la durée de la pandémie ainsi que de l’efficacité des mesures de riposte engagées, sans oublier le montant des ressources affectées à l’endiguement de la maladie.
« La stabilité socio-économique sera donc cruciale pour les pays de la région », insiste la BAD. Ceux-ci devront engager des réformes structurelles importantes pour renforcer l’efficience du secteur public, la compétitivité du secteur privé et pour créer des emplois dans une région où le chômage est élevé. Dans un scénario « optimiste », la croissance devrait s’inscrire néanmoins sensiblement au-dessus de 3%, en 2021.
Pour ce faire, il sera essentiel de maintenir la stabilité macroéconomique et les programmes d’assainissement des finances publiques, ainsi que les mesures de diversification économique.
Bien sûr, aujourd’hui, il importe que les pouvoirs publics affectent des ressources suffisantes à la lutte contre la pandémie et à l’atténuation de son impact sur les entreprises et les ménages.
Les pays de la région affrontent le défi de rendre la croissance propice à la création d’emplois et de donner un accès égal aux opportunités sociales et économiques dans les régions. En particulier, poursuivent les économistes, dans les zones éloignées et rurales.
Investir dans le capital humain
Le développement de l’agro-industrie devrait améliorer la productivité et remédier à certains des aspects des disparités régionales. Les pays devraient également chercher à renforcer l’intégration régionale et l’ouverture commerciale à d’autres régions africaines, dans le cadre de la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine).
L’investissement dans le développement du capital humain et des compétences est « une condition indispensable » pour l’accélération du développement économique en Afrique du Nord. Certes, les pays ont consenti des investissements importants dans l’éducation (entre 3% et 6 % du PIB) et ont pris plusieurs initiatives visant à reformer les systèmes éducatifs.
Pour autant, les pays de la région n’« ont pas été en mesure de générer des transformations structurelles en matière de niveau et de répartition des compétences au sein de la main-d’œuvre ». Pas plus qu’ils n’ont assuré la qualité et la répartition des emplois dans les diverses activités économiques.
Les pays de la région sont à la traîne en ce qui concerne les indicateurs de capital humain par rapport à la moyenne mondiale, notamment pour le nombre d’années de scolarité attendu de la population et les notes aux tests normalisés.
Attention, prévient la BAD : au fur et à mesure que de nouvelles technologies impulsées par la quatrième révolution industrielle émergeront et modifieront la répartition et la nature des emplois, les déficiences au plan du capital humain deviendront plus contraignantes.
Des réformes en matière d’éducation, d’apprentissages, et de formation professionnelle au cours des carrières sont indispensables, préconise la BAD.
Les pays nord-africains pourraient également envisager de fournir des subventions ciblées subordonnées à la création d’emplois en faveur de groupes spécifiques tels que les jeunes et les femmes en vue de promouvoir l’investissement privé.