La BEAC dément tout risque de dévaluation

Voulant prévenir les mauvaises interprétations et les rumeurs, la BEAC fait savoir qu’elle ne voit aucun signe de dévaluation du F.CFA. Elle en profite pour publier des chiffres actualisés plutôt rassurants.
Par Laurent Soucaille
« Contrairement aux informations diffusées par certains médias, laissant croire à une possible dévaluation du franc CFA, l’évolution de la pandémie Covid-19 dans la zone d’émission n’a pas influencé négativement le niveau des réserves de change, qui demeure confortable. » C’est ce qu’a tenu à préciser le gouverneur de la BEAC (Banque des États de l’Afrique centrale) dans un communiqué publié le 12 mai.
En fait des « informations diffusées », il ne s’agissait pas de Fake News mais de la simple reprise, notamment par IC Publications, du rapport de conjoncture de la BEAC ! Lequel, rédigé à partir des chiffres de mars et publié fin avril, faisait état de réserves de changes en sensible baisse (de moins de trois mois) dans la zone Cemac.
« Les rumeurs peuvent affecter l’activité économique dans la Cemac et amener les agents économiques et les investisseurs à reporter leurs décisions d’investissement ou à effectuer des sorties frauduleuses de devises. » (Abbas Mahamat Tolli, gouverneur de la BEAC).
Cette situation affecterait la capacité des autorités monétaires à défendre la monnaie coûte que coûte. Aujourd’hui, certains évoquent auprès de la presse camerounaise une « erreur de communication ». Le ton du rapport de conjoncture aurait dû être moins équivoque et ne pas laisser entendre qu’une dévaluation était possible.
Au moins, ce « démenti » a-t-il le mérite d’inciter les autorités monétaires à actualiser leurs données, dans une période où l’actualité est vite dépassée et où les analyses économiques sont rapidement périmées. En effet, au 10 mai 2020, fait savoir la BEAC, les réserves de change de la zone Cemac se situaient à 5 348,8 milliards de F.CFA. Ce qui représente cinq mois d’importations de biens et services, pour un taux de couverture extérieure de la monnaie de 74,16%. Voilà qui est précis, actualisé, et effectivement, de nature à couper court aux rumeurs.
Un pouvoir d’achat défendu
Comparées à la situation observée un an plus tôt, ces réserves de change ont augmenté de 30%. « Au regard de cette évolution, l’on peut se satisfaire de la consolidation des réserves de change de la Communauté », précise le communiqué signé du gouverneur de la BEAC, Abbas Mahamat Tolli. Qui se félicite d’une « mise en œuvre efficace » des dispositions de la réglementation des changes, en particulier celles relatives aux rapatriements et aux rétrocessions. Le Banquier central salue aussi l’action des États de la Cemac, soutenus par les partenaires au développement, pour maîtriser les effets de la pandémie sur l’économie.
Aussi, la BEAC « se tient prête » à ajuster, le cas échéant, tous les instruments de gestion de sa monnaie, pour préserver les conditions de liquidité dans le système bancaire et assurer ainsi la transmission harmonieuse de sa politique monétaire dans toute la Cemac. Ne surtout pas traduire « ajuster » par « dévaluer », donc.
Au contraire, Abbas Mahamat Tolli « tient à rassurer » : la BEAC ne ménagera aucun effort pour maintenir la stabilité du pouvoir d’achat des ménages et garantir la soutenabilité extérieure de la monnaie. Le gouverneur a toujours eu à cœur de prévenir les rumeurs. Il déclarait déjà, à l’été 2018 : « Les rumeurs peuvent affecter l’activité économique dans la Cemac et amener les agents économiques et les investisseurs à reporter leurs décisions d’investissement ou à effectuer des sorties frauduleuses de devises. »
La dévaluation, une décision politique
Les propos contenus dans le rapport de la BEAC publié en avril avaient pourtant de quoi surprendre. La dévaluation, même évoquée ici de manière allusive, ne fait pas partie de la panoplie des solutions adoptées par les banques centrales africaines des zones franc. La Cemac, d’ordinaire, privilégie les ajustements budgétaires afin d’amortir les chocs économiques.
D’ailleurs, ces questions de parité de la monnaie, entre le franc CFA et l’euro, relèvent du politique, pas du banquier central. Bien sûr, ce dernier a pour mission de « garantir la stabilité de la monnaie ». Néanmoins, la parité « est susceptible d’être modifiée après concertation entre les États signataires, compte tenu des exigences de la situation économique et financière des États membres ». La BCEAO doit se plier à cet alinéa 2 de l’article XII de la Convention de coopération monétaire entre les pays de la Cemac et la France.
Dans son rapport de la politique monétaire de la zone Cemac, la BEAC considère qu’en cas de maîtrise rapide du Covid-19, le solde budgétaire de la Cemac sera déficitaire de 0,9% de son PIB. Contre une prévision d’excédent de 0,9% initialement. Un déficit, bien sûr, mais somme toute limité. Cette détérioration des finances publiques résulterait à la fois de la baisse des recettes budgétaires (-0,5 point de PIB) et d’une augmentation relative des dépenses publiques (+0,9 point de PIB).
Les pays ont pris la dimension de la crise
Les pertes de recettes pétrolières devraient atteindre 992,5 milliards de F.CFA (1,51 milliard d’euros). Quant aux recettes hors pétrole, elles diminueraient faiblement en valeur absolue, « en lien avec le ralentissement des activités non pétrolières et l’incapacité des entreprises les plus impactées par la crise Covid-19 à honorer leurs obligations fiscales », détaillait la BEAC.
Bien sûr, dans tous les pays de la Cemac, il est envisagé une sensible augmentation des dépenses de santé et de soutien aux secteurs les plus touchés par la pandémie. Un tel effort se ferait au détriment d’autres dépenses publiques, notamment celles liées au fonctionnement, aux transferts et subventions et aux investissements publics. Néanmoins, les déficits budgétaires additionnels pourraient atteindre 1,8% du PIB.
Compte tenu de la faiblesse des réserves budgétaires des pays de la Cemac, ces déficits financés par un recours accru aux ressources monétaires et bancaires, voire à l’endettement extérieur. Voilà qui va aggraver un peu plus la situation, déjà tendue, de la dette de la zone Cemac, rappelle la Banque centrale. À fin 2019, un seul pays, la Centrafrique, était classé comme étant « à risque d’endettement modéré » par le FMI. L’institution considérait le Cameroun et le Tchad « à risque d’endettement élevé » et craignait le « surendettement » pour le Congo.
Pour l’heure donc, la question de la dévaluation n’est pas d’actualité. Les aides internationales et les politiques menées en Afrique confirment que les différentes parties ont pris la mesure de l’impact économique de la pandémie. Le – relatif – rebond des cours du pétrole rassure quelque peu. Même si le cours moyen de 20 dollars le baril, sur laquelle reposent les projections « optimistes » de la BEAC, est encore loin d’être confirmé.