x
Close
Actualité Politique

Il faut changer l’inconscient collectif à l’égard de l’Afrique

Il faut changer l’inconscient collectif à l’égard de l’Afrique
  • Publiéjanvier 17, 2023

Le pape François se rendra en RD Congo et au Soudan du Sud, du 31 janvier au 5 février 2023. Il a livré au magazine espagnol Mundo Negro quelques impressions sur l’Afrique à l’approche de ce voyage. Extraits.

 

Mon premier contact fort avec l’Afrique a eu lieu à Bangui, en République centrafricaine, à une époque de transition. Catherine Samba-Panza, qui était maire de la capitale et qui a ensuite été élue présidente de la transition, était présidente, une femme qui était très claire sur les choses. Je suis arrivé à un moment de grande division entre la communauté islamique et la communauté catholique, mais avec un évêque qui est maintenant cardinal (Dieudonné Nzapalainga), un pasteur évangélique (Nicolas Nguerekoyame) et un musulman (Kobine Layama) qui comprenaient bien la situation, et tous trois ont travaillé ensemble pour parvenir à l’unité. Je ne peux pas oublier cette expérience. C’est là que j’ai ouvert la porte de l’Année sainte de la miséricorde, j’ai ouvert le chemin.

Nous ne voyons que la richesse matérielle, c’est pourquoi l’Afrique a historiquement été recherchée et exploitée. Aujourd’hui nous voyons que beaucoup de puissances mondiales continuent de piller, c’est vrai, et elles ne voient pas l’intelligence, la grandeur, l’art du peuple.

Cette année, je me rendrai au Soudan du Sud avec l’archevêque de Canterbury et le modérateur de l’Église d’Écosse, et nous travaillons très bien ensemble. Auparavant, je serai en RD Congo, ce pays est comme un rempart, un bastion d’inspiration. Il suffit de regarder ici, à Rome, la communauté congolaise, guidée par une religieuse, sœur Rita, une femme, enseignante universitaire, qui commande comme si elle était un évêque. J’ai célébré la messe ici dans le rite congolais, c’est une communauté qui m’est très proche. J’ai hâte de faire ce voyage dès que possible. Le Soudan du Sud est une communauté qui souffre.

En ce moment, la RD Congo souffre aussi de la guérilla, c’est pourquoi je ne vais pas à Goma, on ne peut pas y aller. Je n’y vais pas parce que j’ai peur, il ne m’arriverait rien, mais avec une telle atmosphère, certains pourraient lancer une bombe dans le stade et tuer beaucoup de gens. Nous devons prendre soin des gens. 

L’Afrique est originale, l’Afrique nous stimule, mais il nous faut dénoncer quelque chose : nous entretenons un inconscient collectif qui, en italien, dit que l’Afrique sarà sfruttata, « l’Afrique doit être exploitée ». Or, l’histoire nous le montre, l’indépendance n’est qu’à mi-chemin : on leur donne l’indépendance économique du sol, mais on garde le sous-sol pour l’exploiter, on constate l’exploitation par d’autres pays qui s’approprient leurs ressources. Perdure même l’idée de l’Africain comme personne à exploiter, tout l’imaginaire collectif des esclaves noirs partis en Amérique latine… Cette idée que l’Afrique existe pour être exploitée est la chose la plus injuste qui soit, mais elle est dans l’inconscient collectif de nombreuses personnes, et il faut la changer.

 

Nous gardons une industrie pour tuer…

Deuxièmement, il faut tenir compte de la richesse dont dispose l’Afrique, non seulement la richesse minérale, mais aussi la richesse intellectuelle. Voici deux mois, j’ai eu un dialogue d’une heure et demie via Zoom avec des étudiants universitaires africains, et j’avais déjà fait de même quelques mois plus tôt avec ceux des États-Unis, et la lucidité de ces garçons et filles est impressionnante. Ils sont très intelligents et possèdent une intelligence intuitive qui, associée à leur intelligence déductive, leur permet d’aller plus loin. Cependant, l’avancement intellectuel des Africains et l’éducation ne sont pas la préoccupation première. C’est une question sérieuse.

Nous ne voyons que la richesse matérielle, c’est pourquoi l’Afrique a historiquement été recherchée et exploitée. Aujourd’hui nous voyons que beaucoup de puissances mondiales continuent de piller, c’est vrai, et elles ne voient pas l’intelligence, la grandeur, l’art du peuple. Nous devons aller vers les gens, pas vers les idées.

Le Pape visite la maison Matthieu 25 à Maputo, au Mozambique, le 5 septembre 2019.
(Photo : Présence/CNS photo/Vatican Media).
Le Pape visite la maison Matthieu 25 à Maputo, au Mozambique, le 5 septembre 2019.
(Photo : Présence/CNS photo/Vatican Media).

 

Le monde se focalise sur l’Ukraine, mais il ne faut pas oublier les conflits en Afrique. J’ai dit que l’on se rendait compte maintenant qu’il s’agit d’une guerre mondiale parce qu’elle est juste à côté. L’un des plus gros problèmes est la production d’armes. Quelqu’un m’a dit un jour que si nous arrêtions de produire des armes pendant un an, la faim dans le monde disparaîtrait. Et nous gardons une industrie pour tuer…

Devant les migrants, nous érigeons des clôtures et des obstacles pour stopper ou empêcher leur arrivée. Et on installe des fils barbelés pour les empêcher de s’échapper… C’est un crime. Et ces pays qui ont un indice démographique au plus bas, qui ont besoin de personnes, qui ont des villes vides, ne savent pas comment gérer l’intégration des migrants. Les migrants doivent être accueillis, accompagnés, promus et intégrés. S’ils ne sont pas intégrés, c’est un mal.

Mais il y a une grande injustice européenne, n’est-ce pas ? La Grèce, Chypre, l’Italie, l’Espagne et même Malte sont les pays les plus touchés par l’immigration, et ce qui s’est passé en Italie, où, bien que la politique migratoire du gouvernement actuel soit, disons-le, pour le moins restrictive, le pays a toujours ouvert ses portes pour sauver les personnes que l’Europe n’accueille pas. Ces pays doivent faire face à tout et sont confrontés au dilemme de savoir s’il faut les renvoyer pour qu’ils soient tués ou qu’ils meurent, ou agir différemment… Il s’agit d’un problème grave que l’Union européenne n’accompagne pas.

 

Entretien complet sur le site de Mundo Negro.

@NA

 

 

Écrit par
laurent

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *