Covid-19 : Docteur Ismaël Mory Camara : «Nous venons même de terminer un essai thérapeutique… »

La dangerosité du Covid-19 a fait naître beaucoup de Fake News et autres discours tendant à affirmer qu’en fait de maladie, il n’en est rien, le monde est victime d’un complot. Le docteur Mory Ismaël Camara met en garde contre les dérives de la désinformation.
Propos du Docteur Ismaël Mory Camara* recueillis par SD
Je voudrais tout simplement, mais fermement demander aux Africains que nous sommes d’éviter de tomber dans l’émotion face à cette pandémie que représente le Covid-19.
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En effet, les scientifiques et autres médecins procèdent à des essais vaccinaux chaque année en Afrique, en Europe, en Amérique, en Asie, bref sur tous les continents. Et cela, sans bruits ni tapages.
Nous venons même de terminer un essai thérapeutique sur le traitement des hépatites virales, une maladie qui fait beaucoup de dégâts en Afrique, environ 1 million de morts chaque année.
Ces hères spécialistes dans les cris d’orfraies sont pour la plupart résidants en Europe, aux Etats-Unis et profitent des avantages desdits essais thérapeutiques, qu’ils tentent maladroitement aujourd’hui de dénier à l’Afrique.
Dans mon centre, nous en faisons à tout moment. Nous venons même de terminer un essai thérapeutique sur le traitement des hépatites virales, une maladie qui fait beaucoup de dégâts en Afrique, environ 1 million de morts chaque année. Les essais sur le VIH en Afrique se comptent en dizaines voire plus.
Mais cette fois-ci, dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, on parle abondamment des essais thérapeutiques, parce qu’il s’agit d’une pandémie, c’est-à-dire une maladie qui sévit en même temps et concomitamment dans tous les pays du globe. En conséquence, cela fait évidemment grand bruit.
Tout le monde en parle donc et le plus souvent ce sont les moins sachants qui se laissent aller à des supputations qui créent psychose et paranoïa.
ENCADRE
La polémique
Un surréaliste échange mercredi 1er avril 2020 sur le plateau de LCI entre Jean-Paul Mira, chef de la réanimation de l’hôpital Cochin à Paris, et Camille Locht, directeur de recherche à l’Inserm, est à la base de la polémique.
Jean-Paul Mira suggère à Camille Locht, qui approuve, de faire des essais sur le continent africain en ces termes : « Si je peux être provocateur, est-ce qu’on ne devrait pas faire cette étude en Afrique, où il n’y a pas de masques, pas de traitements, pas de réanimation ? Un peu comme c’est fait d’ailleurs pour certaines études sur le sida. Chez les prostituées, on essaye des choses parce qu’on sait qu’elles sont hautement exposées et qu’elles ne se protègent pas ».
« Vous avez raison, on est d’ailleurs en train de réfléchir à une étude en parallèle en Afrique », lui répond alors Camille Locht.
Cette discussion sur des pistes pour un vaccin contre le Covid-19 et pour un vaccin BCG a enflammé les réseaux sociaux.
Face à cette grave pandémie, le moment n’est pas à bayé aux Corneilles, mais bien plus à agir. Aussi, est-ce pour quoi faut-il laisser les activistes et autres propagandistes des réseaux sociaux en mal de publicité s’adonner à leur sport favori : Les Fake News.
Demandez à ces inachevés intellectuels de venir s’installer en Afrique pour qu’ensemble nous menions le combat. « Que nenni », diront-ils. Devant leur inaction et leur tendance à hurler avec les loups le tout avec un vernis de conspirationnisme et de complotisme, que nous reste-t-il à faire, à dire et à espérer ?
Si après ces essais, un vaccin ou un traitement est trouvé, les Africains que nous sommes vivant sur notre continent seront les premiers bénéficiaires. L’OMS exigera – comme elle l’a déjà fait pour le VIH et d’autres infections – que ce soit gratuit pour nous. Et c’est ce combat qui importe. Le reste ? Fadaises !
Une fois de plus, évitons de tomber dans l’émotionnel face à cette maladie tueuse qui n’épargne aucun pays et prions Dieu qu’elle ne se généralise pas en Afrique comme on le voit en Europe et aux Etats-Unis.
Un tel scénario sur le continent entraînerait ipso facto l’hécatombe. Ce qui n’est naturellement pas souhaitable.
Figurez-vous que pour la seule ville Abidjan en Côte d’Ivoire, il n’y a que douze lits de réanimation pour 6 millions d’habitants. Les respirateurs ? Un vœu pieux, autant ne même pas en parler.
Au terme de cette pandémie, il y aura manifestement un avant et un après Covid-19. Il y aura inévitablement des leçons à tirer sur notre modèle de société.
Nous devons déjà en tant qu’Africains investir dans des secteurs essentiels tels que la santé, l’éducation, au lieu d’investir dans les armes et le luxe tapageur… Ne pas tirer de vraies conséquences confirmerait les propos de l’artiste lorsqu’il chante « les vrais ennemis des Africains, ce sont les Africains ».
Cet avis, je le donne en tant que Africain et scientifique. Il faut savoir qu’avant de mettre un vaccin ou un médicament sur le marché, il y’a plusieurs étapes. D’abord les expériences en laboratoire avec les animaux. Si cela donne de mauvais résultats alors le processus est abandonné sine die. Dans le cas contraire, on passe à la 2è étape. Celle-ci se déroule chez les humains. Et cette seconde étape elle-même se subdivise en plusieurs sous-étapes.
L’expérience débute sur un échantillon de petit nombre et ensuite un échantillonnage plus large. Chaque étape se fait sous la responsabilité du comité d’éthique.
A chaque niveau, on définit ce qu’on appelle des critères d’inclusion. C’est ce que les deux scientifiques (NDLR : Lire encadré) ont voulu mettre en exergue en parlant d’expérimentation en Afrique.
Pour que les tests aient la plus grande chance d’être performants, il faut inclure les Africains, parce qu’ici en Afrique, nous n’avons pas les mêmes protections que les Européens. Cela permettrait de ne pas avoir de biais de sélection c’est-à-dire d’avoir des statistiques fiables.
Je voudrais signaler qu’il y’a plus d’une vingtaine d’essais cliniques en ce moment en cours dont les plus célèbres sont Discovery et Solidarity. On n’en parle pas, mais dès qu’il s’agit de l’Afrique, on devient frileux.
Aujourd’hui, on parle des morts pour attester l’idée que rien n’est fait pour soigner les malades, mais qu’il s’agit d’un complot d’un ordre invisible.
Certes, il y’a tant de morts, mais cela s’explique scientifiquement. Le virus Covid-19 s’attaque aux poumons. Au moment où les malades arrivent aux urgences, le plus souvent les poumons sont détruits et le patient a du mal à respirer.
Pour l’aider à respirer les réanimateurs plongent le malade dans un coma artificiel afin de ventiler ses poumons grâce à ces fameux respirateurs.
Demandez à ces inachevés intellectuels de venir s’installer en Afrique pour qu’ensemble nous menions le combat. « Que nenni », diront-ils.
En plus si le malade a des facteurs de risque tels que diabète, hypertension artérielle et autres le risque de décès est plus élevé.
Il est temps de bander nos muscles, de muscler nos intelligences pour affronter le Covid-19. Les atermoiements et autres balivernes ne font que lui donner un train d’avance. Ce qu’il ne faut surtout pas, car nous ne pouvons pas nous permettre ce luxe.
BIO-EXPRESS
* Docteur Ismaël Mory Camara. Profession, médecin épidémiologiste
Dr Ismaël Mory Camara est médecin épidémiologiste au Centre médical de suivi des donneurs de sang. Depuis plusieurs années, il travaille sur la question des maladies virales et les épidémies. Il est également directeur exécutif de l’ONG la LILHVi (Ligue ivoirienne de lutte contre les hépatites virales). Docteur Camara réside à Abidjan en Côte d’Ivoire.
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1 Commentaire
Une bonne réflexion de Dr Camara qui rassure que l’espoir est permis.